Epistres familieres et amoureuses, d’Estienne Pasquier, Parisien
L’Autheur devenu amoureux se console en soy-mesme.
Lettre I.
Qui eust jamais estimé que telle eust esté la sottise d'un homme, de non seulement estre fol, et avoir cognoissance de sa folie, mais aussi d'appeter que le monde en eust cogo[n]oissance? Vrayement faut-il que l'extremité de folie se range dans un tel cerveau : [e]t ce d'autant plus que nature nous instruit tous en general couvrir nos deffauts et pechez. Il [I9v°] faut certes que je confesse, que grande fut celle rage, qui s'imprima dans mon esprit, lorsque je luy laschay la bride, pour me soubmettre à la volonté d'une femme, mais toutesfois excusable m'esl[t]ant celle faute commune avecques tous. Maintenant qu'est-il de besoin donner à entendre à un peuple, de quelle sorte de passions et pointure je fus navré, sinon pour descouvrir plus appertement ma bestise ? Excusez pour Dieu ceste faute, Messieurs, et ne l'imputez à moy, ains à la force de mon destin, qui guide mes oeuvres celle part. Et bien que pour mon regard je n'en attende aucun fruict, qu'en mespris et contemnement de mon faitamplificatio, cette construction contribue, d'un point de vue stylistique, à l'esthétique de l'ornement et de la redondance ; Pasquier y recourt à plusieurs reprises dans ses ouvrages et suit, de cette manière, la tendance de l'époque.Le Roman français au XVIe siècle, ou le renouveau d'un genre dans le contexte européen, Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, 2005, p. 81-92).Les Lettres d'Estienne Pasquier, II, Lettre II, dans Les Œuvres d'Estienne Pasquier, Amsterdam, [imprimé à Trévoux], Compagnie des libraires associez, 1723, t. II, col. 30) ; en soutenant que cette pratique mêle l'agréable à l'utile, notre auteur fait appel à la conception horacienne : « Omne tulit punctum qui miscuit utile dulci » (Épître d'Horace sur l'Art poétique, Avignon, Seguin ainé, 1831, v. 343, p. 36-37). otium. Dans l’antiquité, le terme otium indiquait le temps que l’on consacrait aux activités de l’esprit, par opposition au negotium (affaires politiques, administratives) ; en insistant sur l’importance de l’otium, Sénèque le désignait en tant qu’instrument voué au bien-être moral de l’homme (voir Lucio Anneo Seneca, De otio, éd. I. Dionigi, Brescia, Paideia, 1983, 8, VIII, p. 154-157). Quant à Pasquier, il fait allusion à l’idée d’évasion liée à l’écriture, par opposition aux activités professionnelles du barreau de Paris, où il débuta en 1549 (sur cet aspect de la vie de Pasquier, voir Léon Feugère, Essai sur la vie et les ouvrages d’Étienne Pasquier, Paris, Firmin-Didot, 1818, p. 9) : « C’est en quoy je passe le temps, quand je me veux donner relasche de mes serieuses heures » (Les Lettres d’Estienne Pasquier, VIII, Lettre XV, dans Les Œuvres d’Estienne Pasquier, op. cit., t. II, col. 220). En dépit de ses engagements d’avocat, Pasquier ne manque jamais de se consacrer à la pratique d’une écriture constante – aussi bien en prose qu’en vers –, comme le témoigne la lettre adressée à Pierre Pithou : « Lorsque j’arrivay au Palais, […] je me mis à faire des livres, […] ce furent des dialogues de l’Amour sous le nom du Monophile, […] au milieu, tant de […] causes, que de l’estude que j’ay mise aux anciennetez de nostre France, je n’ay laissé de faire un vers, tantost François, tantost Latin, selon que l’objet m’en presentoit l’invention » (Ibid., VIII, Lettre I, col. 196-197). Lettres amoureuses. En effet, dans un premier temps l’écrivain soutient qu’il a façonné ses lettres « pour plaisir », mais dans un second temps il conteste cette affirmation (« Que pleust à Dieu que par esbat […] je les eusse façonnées »). L’ambivalence caractérisant la nature de la correspondance amoureuse ressort également des mots que l’auteur adresse à l’un de ses amis, Monsieur Buisson, à propos de cet ouvrage de jeunesse : « […] je vous accorde que ces lettres estoient une vraye folie. […] je veux aussi que vous m’accordiez, que c’estoit une belle folie, dont oiseux, je trompois l’oisiveté de ma jeunesse, par faulte de meilleur subjet » (Les Lettres d’Estienne Pasquier, VI, Lettre IV, dans Les Œuvres d’Estienne Pasquier, op. cit., t. II, col. 157). Si d’un côté Pasquier met en lumière la véridicité de sa « folie », de l’autre il laisse entendre que cet amour a été envisagé dans une perspective littéraire et se réclame de l’exercice de style.