Transcription Transcription des fichiers de la notice - <span>[1595_Frellon-Cloquemin_</span><em>LAEDT_Ep.P.</em><span>] </span>Madame, si le malheur Pasquier, Étienne 1595 chargé d'édition/chercheur Lagnena, Michela Michela Lagnena, Université Ca' Foscari et Université Sorbonne Nouvelle & Projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
http://eman-archives.org
1595 Projet Pasquier Amoureux ? (Michela Lagnena, Anne Réach-Ngô, Magda Campanini) ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
<span>Lyon (Fr), Bibliothèque municipale de Lyon, Rés. 805449 ; exemplaire disponible sur </span><a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k79141f" target="_blank" rel="noopener" title="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k79141f">Gallica</a>
Français

L'Amant presente son service à sa Dame.

Lettre II.

Madame, si le malheur ne se fust point formalisé encontre moy, comme il a voulu faire par la rencontre que je fey n'agueres de vostre presence, je me pouvois estimer entre les heureux un Phœnix. Parce qu'au precedent, vivant en ma liberté, m'entretenois au bon plaisir de moy mesme. Toutesfois, puisqu'il a pleu à fortune m'apprester tant de deffaveurFortune est une divinité allégorique personnifiant les caprices imprévisibles et contradictoires du sort. Dans l’antiquité Fortune est représentée comme une déesse juchée sur un globe, alors que l’iconographie médiévale nous offre l’image d’une femme actionnant une roue. Ce changement relève sans doute de l’influence, ainsi que du succès de La Consolation philosophique de Boèce, où le thème de la rota fortunae, déterminant le passage d’une condition haute (bonne fortune) à une condition basse (mauvaise fortune) et vice versa, figure pour la première fois : « Le changement, voilà ma nature, voilà le jeu éternel que je joue. Ma roue tourbillonne sous ma main. Élever en haut ce qui est en bas, jeter en bas ce qui est en haut, voilà mon plaisir » (La Consolation philosophique de Boèce, éd. et trad. L. J. De Mirandol, Paris, 1861, II, 3, p. 59). Dans cette lettre, le mot « fortune » renvoie au sort malheureux. L’idée de fortuna adversa prend son essor dans un traité de rhétorique latine considérant la fortune comme une présence « aveugle » qui « ne voit pas où s’attache » (Rhétorique à Hérennius, trad. G. Achard, Paris, Les Belles Lettres, 1989, 2, 36, p. 67). La conception de mauvaise fortune est très répandue au XVIe siècle. Ainsi, par exemple, dans son Adolescence Clémentine [1538], Marot ne manque-t-il pas d’évoquer ce topos : « Plaisir n’ai plus, mais vis en déconfort / Fortune m’a remis en grand douleur » (Clément Marot, L’Adolescence Clémentine, éd. F. Roudaut, Le Livre de Poche, 2005, I, v. 1-2, p. 347) ; il en est de même pour le recueil de Marguerite de Navarre, où l’idée de fortuna adversa est mise en lumière dans la nouvelle X de la première journée reposant notamment sur les amours d’Amadour et de Floride : « Après plusieurs larmes jetées du regret qu’elle avait […], se délibéra de prendre sa consolation en l’amour et sûreté qu’elle portait à Amadour […]. Sur le point qu’elle était presque toute gagnée de le recevoir non à serviteur, mais à sûr et parfait ami, arriva une malheureuse fortune » (Marguerite de Navarre, Heptaméron, éd. S. de Reyff, Paris, Flammarion, 1982, p. 110-111)., que de me ranger sous vostre puissance, par la vertu de vostre œil qui commande à tout le monde, je vous supply ne trouver estrange, si ne me pouvant maistriser, je suis forcé vous addresser ceste lettre, non sous attente de quelque bien que je puisse esperer en vous (ne l'ayant encores merité) mais seulement pour trouver quelque allegeance à l'extreme douleur que j'endureLa conception de l'expression verbale comme moyen de soulagement à la souffrance amoureuse est très répandue et elle est appliquée également à la forme lyrique, dont l’utilité est remarquée dans l’un des sonnets du Recueil des rymes et proses : « De mon esprit le naïf je descouvre, // Pour moyenner à mes douleurs secours. // Si en mes vers un discours je n’embrasse, // Si sçay je bien qu’en ce que je tracasse, // Je serviray aux autres de discours » (Sonnets, XIV, v. 10-14, dans Recueil des rymes et proses de E. P., Paris, Vincent Sertenas, 1555, f. A8v°-B1r°).Chez Pasquier, la lettre et la poésie accueillent, dans leur diversité, les plaintes de l’amant et se proposent ainsi comme unique consolation au mal d’amour.: [l]aquelle par advanture au rebours de mon [I11v°] intention s'accroistra davantage. D'autant que desirant vous donner à entendre le mal, que pour l'amour de vous je supporte, je suis contrainct me masquer sous une lettre : et ressembler ceux qui pour descouvrir leurs passions, se couvrent neantmoins le visage [.]  Ainsi ne m'osant presenter devant vostre face, pour la crainte de celle lueur qui offusque mes esprits, ay pris sans plus hardiesse de vous escrire ce mot : et l'escrire en telle sorte, que par la teneur de ma lettre, ne descouvriez qui je suis, ains seulement recognoistrez une devote affection, preste à vous faire sacrifice : [q]ue je vous supplie accepter, et remarquer en vous mesmes qu'entre tant de serviteurs, lesquels nature a façonnez au monde de voz beaux traits, ne s'en rencontrera aucun qui vienne au parangon de celuy, qui ne s'osant manifester par sa lettre, et moins encore par parole, se donnera à vous si bien à cognoistre par effect, qu'en recevrez telles satisfactions, que non seulement les presens : mais la posterité en bruira : qui [I12r°]luy sera recompense de ceste estrange fortune, que vostre beauté luy pourchasse. Et cependant, Madame, je vous prie recevoir un cœur enchassé souz [ce]ste lettre, lequel vous est et à present dedié et encor vous estoit consacré devant le temps de sa naissance. [I12v°]