Transcription Transcription des fichiers de la notice - [1586_L'Angelier_<em>Lettres</em>_L6] Lettre III Pasquier, Étienne 1586 chargé d'édition/chercheur Lagnena, Michela Michela Lagnena, Université Ca' Foscari et Université Sorbonne Nouvelle & Projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1586 Projet Pasquier Amoureux ? (Michela Lagnena, Anne Réach-Ngô, Magda Campanini) ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Gand (BE), Bibliothèque universitaire de Gand, BIB.BL.001957 ; <span>lien vers l'exemplaire numérisé : </span><a href="https://books.google.be/books?vid=GENT900000010220" target="_blank" rel="noopener">https://books.google.be/books?vid=GENT900000010220</a>
Français

À Monsieur Buisson Seigneur de Vaillebresay, Advocat en la cour de Parlement.

He vraiement vous avez raison de m'improperer maintenant qu'en ma jeunesse, à la suite de mon Monophile, j'aye mis en lumiere, un livre d'Epistres amoureuses : ce qui n'avoit encores esté attenté par nul des nostres. Comme si vous ne sçaviez pas bien que tout ainsi que chaque saison de l'année, aussi faut-il que chaque aage ait ses fonctions particulieres. J'aimerois tout autant que vous vous plaignissiez du Printemps qui ne nous produit que des fleurs, et requissiez en luy des fruits tels que raporte l'Automne. L'on dit que le Printemps estant doux, l'Esté chaud, l'Automne entre-deux, et l'Hiver froid et humide, il est malaisé que l'année ne soit bonne et plantureuse. Ainsi est il de nos aages : [c]ar si un jeune homme par quelque prerogative ou arrogance particuliere de sa nature, pensoit anticiper sur sa jeunesse, et se donner beaucoup d'avantages en sagesse par dessus ses compagnons, croyez qu'au jugement des plus sages, il ne seroit gueres sage. Jamais bonne farce ne feut jouée sur un eschafault, que celuy qui represente le fol ne face la premiere entrée. Jamais vie d'homme ne feut belle et accomplie, qu'elle n'ait produit en nous quelques traits de gaillardise sur nos premiers avenements. Le privilege de nos jeunes ans nous en dispense. Mais laissons la conside [ZZ2v°] ration du privilege de la jeunesse à part, Je ne voy point que s'il est permis aux poëtes avec honneur, voire en un aage bien meur, de coucher leurs conceptions amoureuses en vers, pourquoy il ne doive estre aussi loisible aux autres de faire le semblable en prose. Ny l'un ny l'autre n'est bienseant, dites vous : et souhaiterois que l'emploite de vos escrits eut esté faite en œuvre plus meritoire. Comme s'il n'estoit bienseant au paintre de representer que la Viellesse sur un ttableau entre les aages ; et l'Hiver entre les saisons. Au contraire il adviendra qu'ayant pourtrait d'un costé la Jeunesse verde, gaye, gaillarde, et assortie de toutes les couleurs à ce requises ; et d'un autre costé la Vieillesse pasle, morne, melancolique et ridée, je m'asseure qu'il n'y a celuy qui ne prenne beaucoup plus de plaisir à repaistre ses yeux du premier ttableau, que du second. Partant je ne voy point qu'il y ait eu matiere d'accuser en cecy le temps que j'ay employé en ce subjet, eu esgard à l'aage auquel je dressay ces lettres. Et ores qu'il y en eut eu, je pensois que la faute eut esté couverte par un long laps de temps, et prescription de plus de trente ans. Or pour le vous dire en un mot, je ne sçay si j'ay en cecy failli, mais s'il y a de ma faulte, elle est double. L'une d'avoir failly, l'autre de ne m'en pouvoir repentir. À Dieu. [ZZ3r°]

ration du privilege de la jeunesse à part, Je ne voy point que s'il est permis aux poëtes avec honneur, voire en un aage bien meur, de coucher leurs conceptions amoureuses en vers, pourquoy il ne doive estre aussi loisible aux autres de faire le semblable en prose. Ny l'un ny l'autre n'est bien seant, dites vous : et souhaiterois que l'emploite de vos escrits eut esté faite en œuvre plus meritoire. Comme s'il n'estoit bien seant au paintre de representer que la Viellesse sur un tableau entre les aages ; et l'Hiver entre les saisons. Au contraire il adviendra qu'ayant pourtrait d'un costé la Jeunesse verde, gaye, gaillarde, et assortie de toutes les couleurs à ce requises ; et d'un autre costé la Vieillesse pasle, morne, melancolique et ridée, je m'asseure qu'il n'y a celuy qui ne prenne beaucoup plus de plaisir à repaistre ses yeux du premier tableau, que du second. Partant je ne voy point qu'il y ait eu matiere d'accuser en cecy le temps que j'ay employé en ce subjet, eu esgard à l'aage auquel je dressay ces lettres. Et ores qu'il y en eut eu, je pensois que la faute eut esté couverte par un long laps de temps, et prescription de plus de trente ans. Or pour le vous dire en un mot, je ne sçay si j'ay en cecy failli, mais s'il y a de ma faulte, elle est double. L'une d'avoir failly, l'autre de ne m'en pouvoir repentir. A Dieu. [ZZ3r°]