Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre de Pierre Abraham à Jean Paulhan (19 août 1935) Abraham, Pierre (1892-1974) 1935-08-19 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1935-08-19 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
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Lundi matin 19 aout 35

Eh bien je suis battu. Battu à plates coutures.

Et c'est de Chatenay – de Châtenay-la-chambre-rose – que je vous lance l'aveu. Au moment de partir pour les bords de l'Oise où j'avais retenu une installation, nous avons été voir la clinique, dont le médecin a vivement insisté pour que nous restions à proximité immédiate de Paris. Les bagages étaient dans la voiture : la tentation du bord de l'eau luttait contre la voix du sage. Et hier soir, après avoir prévenu vos fidèles gardiens, la voiture obéissant à la voix du sage s'installait dans l'allée du jardin – pour quelques jours du moins.

Et maintenant, c'est la folle orgie : le sac, le pillage, et tout ce qui s'ensuit. Heureusement la guerre a été une bonne école en ce qui concerne l'installation dans la maison d'autrui. Il ne reste déjà plus un carreau intact, et je commence à démonter les croisées. Vous savez bien : "Je couche dans ton lit, je mange à ta table, je déguste ton miel et je bois ton eau de Vichy." Aussi l'un de nous est-il installé dans la chambre rose, l'autre dans la chambre verte, et nous préparons la chambre jaune pour le troisième. "Elle pensais à autre chose" a sonné toute la nuit, la baignoire a débordée, le plafond de la cuisine en est tout suintant, il y a eu sept courts-circuits, la bombonne de butagaz a sauté ; on a mis en perce le tonneau de Malvoisie – une rigole fait son petit bruit dans la cave – mais c'était pour calmer l'irritation des pompiers la troisième fois qu'ils sont venus éteindre ce qui restait du toit.

Enfin, n'est-pas, on s'amuse un brin. Cela ne La fin de la lettre est écrite à gauche puis sur le haut de la page à la verticale.vous ennuie pas, au moins ? Notez qu'on joue au tonneau avec les pièces de vingt francs qui sortent du coffre fort éventré, et qu'on joue aux boules avec la tête des chats… mais je ne voudrais vraiment pas trop vous contrarier par ces quelques nouvelles joyeuses. Merci encore de votre hospitalité dont vous voyez que je profite avec la discrétion qui s'impose.

Et – un brin plus sérieusement cette fois – sachez combien va loin en moi cette amitié dont je trouve l'écho entre les murs qui abritent ces quelques journées –

Pierre Abraham