Abbaye de Pontigny (Yonne)
Savez-vous que depuis trois semaines bientôt, je me suis fait moine à Pontigny ? Le travail encyclopédique n'en exigeait pas moins, pour être mené dans les conditions de calme, de continuité et d'assiduité nécessaires à son achèvement. Il exigera encore d'autres semaines pareilles – combien ? Je ne sais pas encore. Mais tout va bien lentement. Ne vous étonnez donc pas de ne pas m'avoir vu ces temps-ci et ne m'en veuillez pas si vous ne me voyez pas bientôt, sauf au cas où…
La démarche que je fais aujourd'hui auprès de vous, je l'ai différée longtemps. Depuis plusieurs mois j'ai ce manuscrit avec moi dans mes papiers, attendant que je trouve le courage de vous l'envoyer. Pourquoi du courage, me direz-vous ? Parce que j'ai conscience de commettre un geste grave, très grave, oui, et qui engage lourdement l'avenir, en vous offrant pour les lecteurs de la nrf cette nouvelle de Menay.
Non que je doute d'elle. Je dirais que c'est, au contraire, parce qu'elle me semble des plus importantes, à beaucoup de points de vue, que j'ai si seulement pour des questions de personne (là aussi je dirai : au contraire). Pour des questions qui touchent d'une part à la technique, d'autre part au sujet. Au reste je m'en explique dans la nécessaire introduction que j'ai rédigée ici pour elle.
Importante aussi à d'autres yeux. Les rares amis qui l'ont entendue lire l'ont considérée comme je l'ai fait, peut-être plus gravement encore. Un point de départ. Une sorte d'engagement moral. Et aussi une hésitation devant une erreur d'optique possible de la part du public – celle hésitation qui a précisément causé l'introduction. J'inclinais à présenter en bloc les quatre nouvelles dont il s'agit, ce qui supprimerait toutecaises d'erreur. Et j'attendais de pouvoir le faire à loisir. Les évènements m'amènent au contraire
Je vous demande – par amitié avant que peut-être ce soit par jugement – je veux dire
Voilà bien de la solennité… Mais vous vous doutez que si j'ai attendu
Lisez donc, mon cher ami, lisez cela. J'aurais souhaité vous la lire moi-même : j'ai plusieurs foisces temps-ci été sur le point de vous demander une grande heure pour cela. Aujourd'hui où la chose acquiert son caractère d'urgence, je suis loin. Et d'ailleurs je ne voudrais pas – comme lecteur – risquer de vous duper sur la valeur d'un texte. Encore une fois – au risque de vous faire sourire – cette valeur ne fait pas de doute. Et j'ajouterai même, après avoir des mois durant pesé le pour et le contre au regard des lecteurs, que non seulement elle ne fera pas de doute pour eux, mais qu'elle leur fera enjamber les quelques objections de pudeur que je m'obstinais à opposer en leur nom à la publication. Quand j'aurai dit que c'est la plus pudique du groupe des quatre nouvelles, vous ne me demanderez pas les autres pour choisir.
La dernière personne à qui je l'ai lue a levé mes derniers scrupules – ou plus exactement les derniers scrupules que j'avais au nom de vos lecteurs – en m'affirmant que j'avais le plus grand tort de parler d'érotisme dans l'introduction, alors qu'il n'y en a pas trace dans la nouvelle – et en insistant très vivement pour qu'elle soit mise à la disposition du public, du large public, sans délai. Je pense néanmoins que j'ai raison de mettre les lecteurs en garde, précisement pour éviter les erreurs d'optique dont je parlais : on ne prend
Ai-je tout dit ? Non. Une chose encore et qui me tient à cœur. C'est à vous que j'adresse ceci la communiquer
Si donc vous vouliez "en parler", dites-le moi, et à qui. Je viendrais (nous prendrons rendez-vous pas téléphone), nous nous mettrons d'accord et au besoin je ferais une lecture. Mais je vous en conjure, ne laissez rien "filtrer", ni maintenant, ni dans l'intervalle. Il ne s'agit pas de tactique littéraire, je vous prie d'en être certain, mais de précautions nécessaires pour une chose qui porte l'étiquette : DANGEREUX, A NE PAS MANIPULER BRUSQUEMENT.
Je crois
Croyez-moi, mon cher mai, bien amicalement à vous et transmettre, voulez-vous, à Madame Paulhan l'expression de mes bien respectueux souvenirs
J'envoie ceci par exprès, pour qu'elle