Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre de Pierre Abraham à Jean Paulhan, 1930-08-24 Abraham, Pierre (1892-1974) 1930-08-24 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1930-08-24 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Français

3 rue DuférelLe Chesnay(S. et O.)

Le 24 août 1930

Mon cher ami, –

Merci pour Adam et Eve, bien reçu. Ne vous faites pas de souci pour votre copie du Proust : je puis utiliser celle qui me rentre justement de chez l'imprimeur.

Je viens donc de manier, de triturer, de torturer ce malheureux texte ad usum de vos lecteurs. Le voilà ramené en quelque chose qui, je pense, fera moins de vingt pages. J'ai dû abandonner l'idée du mouvement ascendant qui, pour être perceptible, aurait pris trop de place. Et je lui ai substituer la mise en scène de la réaction ouvrière, ce qui permet d'insérer un fragment de la première partie, de la partie "descendante". Encadré par deux paragraphes arrachés à la seconde partie, je ne crains plus que ce fragment soit mal compris — ce qui fût sans doute arrivé si je l'eusse donné sans étais [?]. Pour le reste, j'ai sauté les échelons Balzac et St. Simon pour arriver aux paliers Montaigne et Rousseau – dont j'ai supprimé la charpente

comparative. Puis la conclusion, arrêtée bien entendu avant le rappel à la musique.

Donc, voilà. Comme je pars dimanche 31 pour six semaines si ce n'est deux mois, et comme je ne suis pas certain d'être revenu en temps pour vous remettre le paquet, je vous en encombre lâchement pendant vos vacances, au moment où vous auriez cependant tous les droits à oublier la race des auteurs et leurs "paperolles". Je vous supplie (alla Proust) de me dire que ça va très bien comme ça, que c'est justement ce que vous demandiez et que mes ciseaux ont eu du talent…

En compensation, je vous promets que vous vous amuserez quand l'illustration sortira. Ma dernière glane a été fructueuse. Non qu'il s'agisse le moins du monde de découvertes sensationnelles ou de documents savoureux : j'ai aussi sevèrement proscrit l'anecdote des images que du texte et je me suis interdit toute incursion – trop facile – dans des domaines extra-littéraires. Mais, tenant à rester sur le terrain ouvrier, j'ai cru possible d'y planter, à côté du commentaire verbal, un commentaire visuel. Le roman accompagné chemin faisant par des images documentaires, vous voyez ça… Au reste, une illustration ne se décrit pas, elle se regarde. Attendons le deux décembre – à moins que d'ici là Tremanus, Mussolini, Staline, Andorre et le Libéria ne nous aient joyeusement mitonné quelques nouvelles dernière —

Merci pour le Klapes, reçu de chez Alcan. C'est du solide. Oui, je vais vous envoyer la note sur lui et sur le fumeux Max Picard avant le 5. J'y vais consacrer la semaine qui vient, toute hachée qu'elle doive être de passeports, de billets, de films anthropologiques, de pesetas et d'escudos. Si cela ne suffit pas, je plisserai subrepticement livres et papiers dans mon bagage et je m'isolerai dans les buen-retiro de Pontigny –

Mais non, je ne songeai nullement à une chronique, du type des chroniques actuelles de la NRF. Seulement à une régularité dans la sortie des notes sur un même sujet et sous un même titre. Comme vous dites sagement, nous en reparlerons.

Les beaufortaises que vous m'envoyez sont avenantes. Mais celle qui est à mulet a les jambes bien grosses : songez-y dans le choix de vos prochaines béarnaises.

Solide amitié à vous. Souvenirs et respects à vos alentours. Et bonnes Pyrénées.

Pierre Abraham.