1 Vieux-Châtel
Neuchâtel
SUISSE
le 13 août 1958Cher Ami,
A la Brévine, où j’ai conduit l’autre jour Jean-Michel qui n’y était jamais allé, j’ai pensé particulièrement à vous et commencé à vous écrire cette lettre dans ma tête.
Depuis longtemps, Neuchâtel m’a fait comprendre le sens vérittable, - puritain -, de l’Immoraliste, roman sur lequel on a écrit et dit tant de sottises.
Mais je m’étais toujours demandé, sans trouver de réponse, le sens de la Brévine (où il a séjourné, sauf erreur, plus d’une année) dans l’oeuvre et la vie de Gide.
Dimanche (il fallait que ce fût un dimanche), je crois que j’ai compris.
La signification de La Symphonie pastorale m’avait toujours semblé obscure (obscurcie par trop d’éléments étrangers, accidentels, contingents) ; j’ai compris que la clef était dans le chapitre du voyage à Neuchâtel (chapitre qui a, du reste, donné au livre son titre), dans l'opposition La Brévine-Neuchâtel.
Ce dimanche, Neuchâtel, dans la lumière de son lac, avait la fascination de la grâce.... La Brévine, dans l’obscurité de ses marais, la fascination du péché...
Mais c’était le même pays.
Cette dialectique me faisait revenir à l’Immoraliste et me jetait à travers l’oeuvre entière de Gide.
Mais peut-on le dire encore aujourd’hui où les ennemis de Gide se vengent…. ?
J'espère que vous passez un bon été.
Jean-Michel se joint à moi pour vous envoyer nos affectueuses salutations.
Avec ma fidèle amitié
Et Charles Albert que l’on oublie ?