Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre de Blaise Allan à Jean Paulhan, 1957-01-31 Allan, Blaise 1957-01-31 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1957-01-31 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
IMEC, fonds PLH, boîte 90, dossier 030125 – 31 janvier 1957
Français

51 rue Boussingault

Paris XIIIe

le 31 janvier

1957

Cher ami,

Pardonnez-moi de ne répondre qu’aujourd’hui, à votre lettre, qui nous a beaucoup touchés, Jean-Michel et moi.

Vous m’avez donné à réfléchir et je me suis longuement demandé si je ne me trompais pas ; mais en fin de compte, je crois que j’ai raison de m’inquiéter.

Si Roger avait dégagé et souligné le mystère du rêve (ce mystère que la psychanalyse, - à laquelle j’attribue un rang assez bas dans l’ordre des valeurs oniriques – n’a pas diminué), je serais tout à fait d’accord avec lui.

Tous ses efforts tendent au contraire à la négation du mystère d’abord, du rêve même ensuite.

Il y aurait beaucoup à dire sur et contre les postulats et les conceptions (conscience du rêve, nature du temps onirique, opposition du rêve et de l’état de veille, absence de contrôle du rêve) développés à cette fin.

Mais ce n’est pas cet aspect du livre de Roger qui est important pour moi.

Ce qui m’a troublé et fait de la peine (je réserve mon indignation pour ceux qui ont influencé Roger dans ce sens), c’est de voir Roger employer son talent, son intelligence, toutes ses forces, à la destruction de sa sensibilité. Depuis six ans, il poursuit cette entreprise avec un acharnement qui traduit une décision désespérée et son dernier livre est particulièrement révélateur à cet égard. Tout se passe comme si Roger avait peur de sa sensibilité et des aventures où elle pourrait le conduire. Cette crainte est fort éloignée de l’audace des débuts et si elle aboutissait à un renoncement, ce serait très triste. Il y a sans doute là quelque chose de profond, dont une part reste dans l’inconscient.

Roger se ferme ainsi à tout ce qui tient de la sensibilité (c’est à dire la part essentielle) dans la littérature et la peinture.

Or sa sensibilité est très vive, – j’en suis convaincu par tant de signes qu’il n’arrive pas à cacher, - et pourrait connaître de singuliers développements ; c’est contre l’immolation de ce pouvoir privilégié que mon amitié proteste.

Je garde un espoir dans l’érotisme, seul capable aujourd’hui de sauver Roger.

L'efficacité des ttableaux de Dubuffet ne m’étonne pas et je suis heureux de savoir que vos yeux vont mieux.

J'attends avec impatience votre livre sur la peinture moderne.

Jean-Michel se joint à moi pour vous envoyer nos affectueuses salutations.

Avec ma fidèle amitié

Blaise Allan