Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre de Blaise Allan à Jean Paulhan, 1953-02-06 Allan, Blaise 1953-02-06 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1953-02-06 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
IMEC, fonds PLH, boîte 90, dossier 030125 – 6 février 1953
Français

51 rue Boussingault

Paris XIIIe

le 6 février 1953

Cher ami,

merci de votre mot qui me touche, mais me charge d’une responsabilité inquiétante.

Non ! Vous n’avez pas dit de « bêtises », et en auriez-vous dit qu’il faudrait vous excuser : les théologiens (les catholiques aussi) ont tellement varié sur la question du baptême.

Mais vous vous êtes aventuré dans un domaine dangereux ; le problème du baptême passionne aujourd’hui les Protestants, jette le trouble dans les Eglises et provoque des réactions violentes, dont vous ne serez peut-être pas à l’abri. Ces réactions seront différentes et même opposées, selon le journal qui publiera votre texte. La plus grande partie de la presse protestante de langue française étant barthienne, vous vous trouverez donc, probablement, en face de Barthiens (c’est en particulier le cas des Réformés qui sont des gens d’un dogmatisme féroce.

Je ne veux pas faire ici un cours de théologie ; mais voici, en gros, comment se pose le problème.

Zwingli n’attribuait au baptême aucune influence sanctifiante et ne voyait dans le baptême qu’un engagement par les parents, le signe de l’Eglise visible par lequel l’homme est pris au nombre des Chrétiens, un appel à la bénédiction de Dieu. Cette doctrine, qui a trouvé

son expression la plus poussée dans le « Libéralisme » a fini par se répandre chez un grand nombre de Protestants, et elle est encore très répandue. Sa forme actuelle a été résumée par Wilfred Monod : « L'acte matériel du baptême n’a jamais transformé spirituellement une créature inconsciente. Mais par les promesses d’éducation chrétienne (par l’intention sainte qui s’attache au baptême) et de fidélité à l’Evangile qui l’accompagnent, l’enfant est [pris?] au profit d’une bénédiction : il est inséré dans le corps visible de l’Eglise, avec la possibilité d’appartenir un jour à son âme invisible, quand il verra lui-même Celui qu’il faut rencontrer : « Toi, suis-moi! » (Wilfred Monod : Du protestantisme, Alcan 1928, P.P 109-110). Il faut souligner que Wilfred Monod parle au pédobaptiste.

Ce que vous avez dit (je m’en tiens aux mots) ne se rattache pas à cette doctrine libérale ; vous avez parlé comme si vous pensiez que votre baptême éventuel pourrait (je dis provisoirement « pourrait » : vous verrez plus loin le sens de cette réserve) effacer toutes vos fautes.

Il est certain que beaucoup de Protestants, plus ou moins marqués par le libéralisme, et tous les théologiens libéraux vous en voudront ; ces derniers sont, du reste, bien rares aujourd’hui en France et en Suisse Romande, et leur âge a diminué leur agressivité ; en France en Suisse Romande, les jeunes théologiens sont presque tous barthiens.

Luther a beaucoup varié sur la question du baptême (cf. Lichtenberger : Encyclopédie des Sciences religieuses, Tome II. P.P. 68 en suiv, Fischbacher). Selon le Sermon sur le sScrement du baptême (1519), la régénération opérée par la Foi commence au baptême et se continue pendant toute la vie. La Confession d’Augsbourg (1530), à l’article IX, dit simplement que le baptême est nécessaire au salut, que la Grâce y est offerte. A la fin de sa vie, Luther considérait que l’eau du baptême, eau à laquelle se joint la Parole de Dieu (Cat. min. IV.10) est une eau divine, sainte, salutaire (Cat. maj. IV. 17, 18) opérant la rémission des péchés (Cat. min. IV.6), mais seulement pour ceux qui croient à la parole et aux promesses divines (cf. ibid.)

Georges Fulliquet, professeur de théologie à l’Université de Genève, dans son Précis d’Histoire des Dogmes (Fischbacher) ,P.P. 162-163, résume ainsi la doctrine de Luther : « Le baptême des enfants est la manifestation la plus claire de la grâce prévenante La foi d’autrui est ici utile à l’enfant, et, de plus, le baptême confère la foi personnelle. » Mais il s’agit encore ici d’un point de vue pédobaptiste.

Pour Calvin, l’essentiel c’est la gloire de Dieu, sa volonté, son action (vous [sans doute?] que Calvin n’a pas été sans subir l’influence de Duns Scot), d’où un monisme absolu et une religion d’héroïsme ; de plus, en donnant au Saint-Esprit la fonction de lien entre les hommes, les Ecritures, Jésus-Christ, et Dieu, Calvin a pris une position originale, qui, en dehors de toute ontologie, attribue au Saint-Esprit un

rôle psychologique. La Doctrine calviniste du baptême se fonde sur ces données ; elle se situe entre Zwingli et Luther, et plus près de ce dernier. Pour Calvin, le baptême est un signe d’initiation par lequel on entre dans la communion de l’Eglise visible, un sceau de Dieu. Il est un témoignage qui nous assure que nos péchés, nous sont pardonnés, mais en nous, non par le baptême lui-même, mais par le Sang du Christ, dont le baptême est le symbole (Inst. ch.IV, 15, 1 et 2). Le baptême nous unit au Christ (ibid, 3,6). Le baptême promet ses grâces qui ne sont acquises que par la foi (ibid. 14, 15). Calvin justifie le pédobaptisme par l’analogie avec la circoncision. Il pense que si les enfants ne sont pas encore en état de connaître le Christ et donc de recevoir la régénération et la sanctification par le Saint-Esprit et d’avoir la foi, ils ont déjà une étincelle de lumière qui brillera plus tard en eux. Cette étincelle est suffisante pour les élus (ibid., 17-21). Les enfants qui meurent non baptisés et sont au nombre des élus héritent de la vie éternelle. Le baptême n’est dont pas une condition essentielle du Salut (ibid., 20).

Il faudrait également citer tout le chapitre Des Sacrements dans le Catéchisme de l’Eglise de Genève par Jean Calvin (Ed. « Je sers », 1934). Les Sacrements sont d’abord présentés comme devant « soulager notre faiblesse » (46° Section, P. 110), comme « figure des choses spirituelles » (ibid. P.III). Puis Calvin explique que « les incrédules ou les méchants anéantissent la grâce qui leur est présentée dans les sacrements » (ibid. 47e Section, P.III). Il dit ensuite qu’il est nécessaire de recevoir les sacrements « avec foi » (ibid. P. 112), qu’il n’y a

pas dans le signe visible « quelque vertu renfermée », mais « une aide pour nous conduire » directement au Seigneur Jésus-Christ, pour chercher en lui le Salut en la solide félicité » (ibid). Il continue : « Le baptême nous est comme une entrée dans l’Eglise de Dieu : car il nous assure que Dieu, au lieu que nous lui étions étrangers, nous reçoit pour ses domestiques » (cf. ibid. 48e section, P.P. 113-114). Dans la 49e section (P.P.114-116), Calvin dit que l’eau représente la rémission des péchés, en même temps que la modification de la nature ; elle est un signe de mort et de résurrection. Mais seul le Sang de Jésus-Christ lave, par le Saint-Esprit. La rémission des péchés est offerte et règne dans le baptême, mais peut être ensuite anéantie par le pécheur. Puis dans la 50e Section (P.P. 116-117) : le légitime usage du baptême consiste dans la foi et la repentance, et Calvin insiste sur la nécessité de faire paraître le fruit du baptême. Il résume enfin : « On doit administrer le baptême comme un signe et un témoignage qu’ils (les enfants) sont héritiers de la bénédiction que Dieu a promise à la postérité des fidèles ; afin qu’étant parvenus à l’âge de discrétion, ils reconnaissent la vérité de leur baptême, pour en profiter ». (Je vous signale le caractère figuratif du vocabulaire de Calvin).

Bref pour les Protestants-non-libéraux (s’inspirant de Luther et de Calvin), le baptême offre la rédemption mais ne la garantit pas ; seule la Foi garantit la rédemption.

Les Barthiens vont jusqu’au bout de la doctrine et Karl Barth est anti-pédobaptiste, (c’est à dire qu’il réserve le baptême à l’âge adulte, où la Foi intervient. Pour eux, c’est une question capitale. Karl Barth a écrit :

« La négligence du Sacrement a contribué à rendre le protestantisme moderniste » (Karl Barth : Credo : Appendice IX. Prédication et Sacrement : P. 244, Editions « Je sers », Paris 1936). Voyez également l’étude de Barth sur le baptême (1942), sa Dogmatique (en cours de publication) et les études sur le baptême dans la revue barthienne Verbum Caro (Ed. Du Griffon, Neuchâtel).

C'est ici que les choses se compliquent, que se représente le danger, et voici pourquoi, plus haut, j’ai fait une réserve sur les sens vérittable de vos paroles.

Vous avez dit que le baptême éventuel vous laverait de toutes vos fautes. Cela plaira, je crois, aux Barthiens qui croient à l’efficacité du baptême. Mais avez-vous, en fait, voulu dire que le baptême vous laverait de ces fautes si certaines conditions, non nommées par vous, étaient remplies ? Alors on serait en droit de vous rappeler l’action de la grâce reconnue par la Foi, de s’étonner de votre silence à ce sujet.

Ou avez-vous, en fait, voulu dire que le bapême vous laverait en tous cas de vos fautes ? Ce serait admettre une interprétation extensive de la Doctrine (catholique, telle qu’elle s’applique aux enfants – sacrement ou régénération. (Catéchisme Romain. p. II, C.2, par 5), infusion de la grâce ou de toutes les vertus (cf.ibid. Par 53, 54) forme verbale du sacrement (cf. ibid. par 13, 14) – mais non aux adultes, dont on exige la foi, la repentance, le désir de ne plus pécher (cf. ibid., par 40). On pourrait aussi vous le reprocher.

Au-delà de toutes ces considérations théologiques, que je donne uniquement pour être complet, l’essentiel me semble tenir à ceci : le texte écrit retiendra-t-il le ton et les nuances qui situaient vraiment ce que vous avez dit ?

J'en doute un peu ; votre voix a joué un rôle considérable dans ces émissions de la radio ; et d’une façon générale on vous comprend plus facilement quand on vous écoute que quand on vous lit.

Ne faudrait-il donc pas, peut-être, ajouter un mot qui rétablirait l’équilibre, en évoquant les conditions spirituelles  du baptême en en éclaircissant le sens de votre phrase écrite, où, faute de ce signe, on pourrait voir l’expression d’une croyance ou baptême « magique »?

Ou bien un mot qui situerait cette phrase sur le plan poétique, où les théologiens n’auraient plus rien à voir ?

Je crois qu’en tous cas, on reconnaîtra en vous quelque chose de profondément protestant.

Peut-être quelques-uns sentiront-ils ce que je sens : un lien secret avec le monde de la grâce.

Je ne vous dirai pas mes convictions personnelles sur le baptême. Mais je me permettrais d’ajouter que sans cette émission dite maintenant « du baptême », j’ai souffert d’une absence.

Et je me suis souvenu de la parole de Paul : « Si une femme a un

mari non croyant et qu’il consente à habiter avec elle, qu’elle ne répudie point son mari. Car le mari non croyant est sanctifié par la femme.... autrement vos enfants seraient impurs, tandis que maintenant ils sont saints. » (I. Corinthiens, VII, 13-14).

C'est là le mystère...

Avec ma fidèle affection

Blaise Allan

P. S. : Si vous avez quelque chose à me demander, je serai chez moi demain, dimanche, après-midi (Gobelins 32 31).

J'ai beaucoup aimé votre émission de ce soir.