Jean Arabia
Samedi 30 juillet LVJ’espérais vous voir mercredi : impossible ; j’ai été et je suis encore débordé d’horlogeries plaisantes – elles font gagner peut-être le ciel – en tout cas la base matérielle) ; (ennuyeuses toutefois et difficiles, très difficiles, même pour d’énaurmes littérateurs au pied de poule qui trouvent tout facile – quelle veine pour ces grands seigneurs – mais je ne les envie pas – (mes envies sont d’un autre tonneau, et il doit y couler un terrible vin catalan – ce qui est, je suppose – mauvaise cailladine).
Enfin il faut se résigner :
Nous sommes un peu pour ça sur terre
et si nous ne nous résignons….. quels terribles changements ; (je me résigne autant que l’âge l’ordonne) et comme tous mes clients veulent leurs petites pucelles en plaqué – battant la seconde – pour partir en vacances, je me résigne à passer pas mal de nuits à mon établi de loupe à l’œil.
Heureusement, ça se calmera cette fièvre qui remplit mes tiroirs de malades, et mes horlogeries reprendront leur petite cadence régulière et retrouverai-je ainsi
Pardonnez-moi de vous ennuyer avec ces histoires qui ne conduisent pas aux bains de mer quoique la saison en soit venue.
Vos histoires à vous sont certainement plus graves – mais peut-être plus consolantes – car il me paraît (en quoi je puis dérailler comme un excellent rapide – pardon) que lire, lire à longueur de journées des auteurs patentés et en renom, d’autres de fort mauvais – ça peut avoir un côté plaisant – s’il arrive, de temps à autre, de découvrir quelque étoile étonnante, capable d’attirer jalousement et en gloire, les plus capricieuses générations du monde entier.
Comme j’ai soif de savoir beaucoup de ce que j’ignore me voici encore à vous parler de littérature – il me faut votre indulgence, (car je n’y suis jamais encore bien entré) – et de vous interroger :
Vous m’aviez dit qu’on rééditait G. – il le mérite certes – il le mérite c’est un grand esprit et à côté, AlbalatDébats.morne plaine…) une luciole.
Je pense que vous avez lu le « papier » qu’Émile Henriot a écrit dans Le Monde au sujet de cette réédition de l’ÉsthétiqueEsthétique de la langue française (La déformation. La métaphore. Le cliché. Le vers libre. Le vers populaire), Paris, Le Mercure de France en 1899, rééd. précédée d’une étude de R. L. Wagner et d’une note de Maurice Saillet en 1955 chez le même éditeur.Masques que je n’ai pas lus. Il le classe avec Suarès et Alain :
cette classification est-elle valable ?
Je suis d’accord avec Emile Henriot (excellent critique, je crois) quand il affirme que G [Gourmont] est un savant, un technicien qui a eu la préoccupation de la langue, de l’écriture, (fustigeant les microbes-patineurs qui encombrent encore le français de barbarismes grecs.) Et certes « le sens de la beauté » n’a jamais fait défaut à G [Gourmont].
Je suis moins d’accord avec E [Emile Henriot], quand il lui arrive
ainsi a-t-il pu maltraiter le grand St-John Perse, et d’autres, (au point que j’aie cru qu’ E [Emile Henriot], là, était absolument aveugle).
J’ai aimé alors, qu’Alain Bosquet le prenne à bras le corps pour lui asséner quelques élémentaires vérités.
Il me semble que depuis cette agréable passe d’armes, E [Emile Henriot] s’est amendé, et y voit plus clair en ce qui touche à l’art moderne du poëte.
C’est un bien.
En ce qui concerne G [Gourmont] auquel je reviens comme à un péché très mignon – je vous garde gratitude de me l’avoir mis en mains – mais il me vient une idée qui vous paraîtra saugrenue, vous la disant tout de même :
Si nous pouvions arriver à écrire sans clichés, ni lieux communs, il se produirait un bouleversement que nul n’a encore jamais vu – Dada et le surréel à comparer, ce ne serait même plus qu’une vulgaire escapade de terribles écoliers – ce qui nous guetterait aussi c’est le fatras illisible isoudien
Je suis terriblement coincé par cette idée : c’est une implacable mordache d’étau qui broie, à moins de supprimer le Si et tranquillement prouver que : nous pouvons écrire sans clichés ni lieux communs.
Je finirai bien par croire, comme G [Gourmont], que l’art d’écrire (sauf à la mode du jour), ne s’apprend pas, et ne relève, en somme, que de la magie.
D’ailleurs – je me dois cet aveu – je m’étais bien promis, après avoir lu G [Gourmont], de ne plus toucher à une plume, de la laisser aux seuls écrivains ;
Enfin je veillerai à ce que cela n’arrive pas, sans être sûr d’y parvenir, car il me semble toujours, que c’est une maligne présomption de nous croire seuls maîtres de notre destin.
Pardonnez-moi d’avoir encore grignoté un peu de votre temps précieux.
Bonnes vacances.
Fraternellement.
Évidemment, ça n’a pas marché : Les Étoiles ont été refusées, comme ailleurs, chez d’El Duca, malgré que les manuscrits aient été lus avec une extrême bienveillance, et m’aient été retournés, en délicatesse, aux frais de la grande firme d’édition.
Continuer à battre les pavés de Paris afin de trouver un éditeur-normal pour Les Étoiles, perspective enfin désolante : j’y renonce.
A la rentrée, je verrai avec vous, s’il est vraiment possible de sortir Les Étoiles chez Seghers, même en souscription.
Je crois qu’il est l’ultime refuge. Mais nous en reparlerons.
Merci encore.