Jean Arabia
67, rue de Billancourt
BOULOGNE
(Seine)
Tél. : MOL- 27-24
Voici plusieurs jours que je veux vous écrire pour vous remercier de votre Petite Préface à toute critique.
Je ne l’ai fait plus-tôt, espérant vous donner des nouvelles du manuscrit. Mais Buchet n’écrit toujours pas – Attendons encore : la patience est un joli dévergondage que j’ai réussi à acquérir avec l’âge.
Parmi tout ce que j’ai perdu de ma jeunesse – c’est toujours ça de gagné….
J’ai eu plaisir diabolique à lire votre méthode. Tout ce que vous dites du langage est vrai : ils parlent toujours de querelles de mots et à grands moulinets de paroles écrites ou parlées ‑ même au boudoir des belles quand s’amoncelle le givre des tempêtes, avant le rompre définitif – il s’agit toujours de querelles de pensées.
Comme vous le précisez, fort à propos, nos philosophes ne sont pas exempts de cette épidémie, coqueluche de pas mal de nos littérateurs, et jusqu’à l’inabordable, de nos politiques.
Cette aventure du « Pyroscaphe », placée au centre de votre méthode, illustre, fort clairement, tout ce que le « point d’accomplissement » peut avoir de nébuleux pour ces bons messieurs de la gent copiste ou pondeuse, encore et pour longtemps à tâtons au gré des ténèbres.
Ce qui m’a paru absolument accompli en votre ouvrage, c’est le passage, sans avoir l’air d’y toucher, de la théorie à la pratique : c’est la meilleure des passions des maîtres-d’œuvre, et cela me donne toujours envie de témoigner de ma satisfaction.
Les points sur les I à M. André Rousseaux : c’est de l’or d’orfèvre pur… l’or en lingot : quelle dérision.
Encore une observation, quoique mineure, mais je m’y tiens : j’ai été aux anges que vous affirmiez ce que je pense moi-même du philosophe intelligent en diable et météore de notre siècle : « le sens des réalités » échappe à Jean-Paul Sartre, et je crains, moi aussi, qu’il ne « "voie" » « la littérature à l’envers. »….
Vous aviez raison : Petite Préface à toute critique, ce n’est pas abscons…., c’est surtout amusant, et vraiment réussi.
Venez me voir, cher ami, le plus-tôt que vous pourrez. Je suis toujours ici, le matin jusqu’à deux heures de l’après-midi.
Après deux heures, il m’arrive de m’absenter.
Si vous désirez venir un après-midi, téléphonez-moi à MOL- 27-24.
À bientôt la joie de vous revoir, et croyez-moi, mon cher Jean Paulhan, en toute affection et fidèlement vôtre.
Vendredi 5 Octobre.