Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre de Marcel Arland à Jean Paulhan, 1936-08-19 Arland, Marcel (1899-1986) 1936-08-19 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1936-08-19 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
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Mardi 19 Août 36
Cher Jean,

Je suis, en même temps que la cure d’eau, une cure d’exercice. Cela se passe dans le petit bois de sapins, non loin de l’étang. Une vingtaine d’amateurs, presque tous assez laids et presque difformes : des médecins, un fabricant de bonbons, un colonel en retraite, deux bijoutiers juifs... Ces gros hommes vieillis sautent, dansent, obéissent comme au collège ou à la caserne. Aux instants de repos, ils se donnent de petites tapes dans le dos, parlent des acteurs de la comédie française... Les médecins sont attendrissants (j’entends les médecins qui viennent se soigner), avec une douceur, une bonne volonté, un air désarmé et presque timide, qui gagnent le coeur.

Nous nous promenons. Je ne déteste pas Vittel, beaucoup plus tranquille que Vichy. Il faut faire 10 kms pour trouver la campagne, hors de Vichy. A Vittel, elle est là, pas très belle, agréable (non, cela n’a rien à voir avec Varennes), agréable pourtant. Nous sommes allés hier à Epinal, où j’ai revu le beau Duménil de la Tour (la femme en rouge qui se penche sur un prisonnier), mais où je n’ai pas trouvé de vieilles images. - La semaine dernière, à Sion, plus beau que je ne pensais, mais à l’opposé du génie de Barrès.

Et puis j’ai perdu 50F à la boule. C'est, à côté de la roulette, un jeu vulgaire.

Avec tout cela, cures et promenades, il est difficile de travailler. Mon plus grand plaisir (je ne sais si je dois m’en excuser) est de relire – mais non, je ne l’avais jamais vraiment lu – de lire le Jugurtha de Salluste. Il me semble que c’est la plus belle prose après Tacite, et c’est plus intellignent. J'ai toujours préféré le latin au grec ; je commence à y apporter une sorte de passion.

Je lis aussi Romains, hélas, et songe à une chronique ; - et les nouvelles d’Espagne, avec colère, avec stupeur.

Nous resterons ici jusqu’au 1er septembre ; puis nous irons à Cusset (du 4 au 20)

J'attends avec impatience ta réhabilitation d’une rhétorique.

Je t’embrasse

Marcel