Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre de Marcel Arland à Jean Paulhan, 1933 Arland, Marcel (1899-1986) 1933 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1933 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Français
[1933]
Mon cher Jean,

Je n’aime pas la Suisse, c’est dit. Ces sommités (c’est le mot des prospectus) ne me touchent pas, m’ennuient ; il n’est pas question d’écrasement, mais de l’énervement que donne un perpétuel bavard. On passe le jour à « contempler » (toutes les Alpes se sont donné rendez-vous devant l’hôtel). - Pourtant hier, comme nous étions en route pour une promenade d’une heure, nous nous sommes perdus ; nous avons longtemps grimpé et, vers 2000 m d’alt. [altitude] (notre hôtel est à 1330), rencontré un alpage désert, large, très joli : puis, grimpant encore, nous sommes arrivés, vers 2500 m, (non, ce n’est pas une histoire marseillaise) au dessus d’un mont, creusé en amphithéâtre, sauvage, de couleurs rares, de lignes très pures, beau. - Mais J. [Janine ] ne pourrait faire souvent de telles promenades ; nous quitterons lundi les Mayeur, irons du côté de Montana (c’est un plateau), et, si nous ne trouvons rien qui nous plaise vraiment, nous descendrons à Port-Cros.

La jument verte m’a beaucoup amusé : je ne crois pas avoir été trop indulgent. C'est de beaucoup le livre le plus drôle que j’aie lu depuis quelques années.

Au revoir. J'ai beaucoup de plaisir à penser à toi. Nous vous embrassons.

Marcel

Cette lettre est pleine de je, et de quels je ! Grande envie de plonger dans un lac, pour en sortir autre. Mais, c’est froid, c’est dangereux, et je n’en ai jamais sous la main. - Je ne désespère pourtant pas d’en trouver enfin un.

- « Serais-tu vaniteux ? » Deux ou trois souvenirs entre autres me reviennent, où j’ai nettement fait preuve de vanité, et de la plus risible. - Mais je ne crois pas en avoir montré quand il s’agissait de choses qui me tenaient au coeur. -

Un jour, un homme à qui je parlais, - à qui je voulais bien parler (je ne l’estimais pas) - , m’interrompit pour aller parler à un nouvel arrivant ; je ne le lui ai pas pardonné ; et d’ailleurs il est mort.

De même, quand 4 ou 5 hommes que j’estime me donnent la Légion d’honneur, je supporte mal que quelqu’un, - ou qu’un mécanisme – s’y oppose.

J'avoue que je ne le supporte mal que pendant vingt-quatre heures, et qu’aujourd’hui tout cela, et d’abord moi-même, me fait rire.

- Si j’ai parlé de Chamson (à qui j’ai peu l’habitude de penser), c’est que Chardonne, dans l’entretien que je t’ai rapporté, m’avait dit : « Monzie a déjà eu du mal à le faire décorer ». C'est d’après Monzie lui-même qu’il le disait. Mais as-tu pu penser que je pouvais envier Chamson ?

Au reste, quand tu me dis : « Pourquoi songer à Ch. [Chamson ] plutôt qu’à S. ou à mon père ? », je te répondrais volontiers, si tout cela valait la peine que toi et moi en parlions davantage, qu’à la place de S. ou à celle de ton père, je n’aurais pas eu la modestie d’entrer dans le jeu. (Et, bien entendu, je ne me trompe pas sur le sourire de ton père quand il accueillit sa décoration).