Je t’écris de ce petit restaurant où j’aurais voulu dîner avec toi ce soir. Je te remercie d’avoir au lieu de te piquer, répondu vraiment à ma lettre. Je ne puis pas ne pas envisager l’amitié comme un besoin de perfectionnement de soi-même et de l’ami. Il ne faut pas te dire, quand je te critique : « Comment peut-il dire cela, lui qui... » - Moi qui voudrais tant être autrement, être meilleur, être plus digne d’amitié.. - Peut-être ne t’ai-je cherché querelle que par une inconsciente jalousie. Je me rappelle t’avoir écrit, voilà 5 ou 6 ans : « vous qui avez (ou qui devez avoir) tant d’amis ». Et de temps en temps aussi intervient une pensée, qui me pousserait presque à t’insulter (pour « voir ») : « il dirige une revue où tu tiens à être publié, ou plutôt estimé... Est-ce que cela n’entre pas dans mon amitié? »
Il faut te souvenir, quand nous nous querellons, que tu es mon aîné (le mot est assez beau) donc que tu dois avoir as plus de « responsabilité » que moi (facile à dire, n’est-ce pas ?)
Tu parles, dans ta lettre, de ce que tu appelles « ma loyauté ». J'ai honte de répéter ce mot. Car si j’ai toujours eu, comme une maladie, la haine du mensonge, c’est du mensonge d’autrui qu’il s’agissait surtout. Je t’ai menti plus d’une fois. De moins en moins, oui, et nullement en paroles depuis un certain nombre d’années. Mais je ne suis pas sûr de ne pas t’avoir menti par gestes,
Ne crois pas que je ne me mette pas parfois à ta place, que je ne me dise pas que tu connais, que tu dois connaître beaucoup plus de gens estimables et aimables que je ne fais moi-même. Ne crois pas non plus que je me place au-dessus de ces gens que tu as connus, ou que tu pourras connaître. - Mais il me semble que l’amitié est moins le choix d’un être parfait, que celui d’un être imparfait, que l’on voudrait parfait, et que l’on se sent obligé d’amener le plus possible vers la perfection. Sans quoi, car le même principe me paraît devoir être à la base de l’amour, il ne resterait plus qu'à renoncer à tout, c’est à dire..
Au revoir, à Port-Cros.