Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre de Marcel Arland à Jean Paulhan, 1931 Arland, Marcel (1899-1986) 1931 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
http://eman-archives.org
1931 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Français
F. BONNET
9, rue SAINT-ANTOINE, 9
PARIS-IVe
TEL : ARCHIVES 17-23
R.C. Seine N) 340-925
Jeudi soir [1931] mon cher Jean,

Je t’écris de ce petit restaurant où j’aurais voulu dîner avec toi ce soir. Je te remercie d’avoir au lieu de te piquer, répondu vraiment à ma lettre. Je ne puis pas ne pas envisager l’amitié comme un besoin de perfectionnement de soi-même et de l’ami. Il ne faut pas te dire, quand je te critique : « Comment peut-il dire cela, lui qui... » - Moi qui voudrais tant être autrement, être meilleur, être plus digne d’amitié.. - Peut-être ne t’ai-je cherché querelle que par une inconsciente jalousie. Je me rappelle t’avoir écrit, voilà 5 ou 6 ans : « vous qui avez (ou qui devez avoir) tant d’amis ». Et de temps en temps aussi intervient une pensée, qui me pousserait presque à t’insulter (pour « voir ») : «  il dirige une revue où tu tiens à être publié, ou plutôt estimé... Est-ce que cela n’entre pas dans mon amitié? »

Il faut te souvenir, quand nous nous querellons, que tu es mon aîné (le mot est assez beau) donc que tu dois avoir as plus de « responsabilité » que moi (facile à dire, n’est-ce pas ?)

Tu parles, dans ta lettre, de ce que tu appelles « ma loyauté ». J'ai honte de répéter ce mot. Car si j’ai toujours eu, comme une maladie, la haine du mensonge, c’est du mensonge d’autrui qu’il s’agissait surtout. Je t’ai menti plus d’une fois. De moins en moins, oui, et nullement en paroles depuis un certain nombre d’années. Mais je ne suis pas sûr de ne pas t’avoir menti par gestes,

par attitude, par sous-entendu. Et de même, je n’ai jamais menti par paroles à Janine ; mais je l’ai fait par silences. Du moins, je n’ai pas de plus cher désir que d’être constamment sincère, et le moins imparfaitement possible. Mais si l’on ne m’aide pas ? Tu dois m’aider, toi qui m’as tant aidé. Car enfin, si, à 32 ans, je me trouve plus ferme, plus « moi-même » (il me semble), et plus heureux que je ne l’ai jamais été, (et tu sais bien que mon « bonheur » n’est pas une chose basse), je te le dois pour beaucoup.

Ne crois pas que je ne me mette pas parfois à ta place, que je ne me dise pas que tu connais, que tu dois connaître beaucoup plus de gens estimables et aimables que je ne fais moi-même. Ne crois pas non plus que je me place au-dessus de ces gens que tu as connus, ou que tu pourras connaître. - Mais il me semble que l’amitié est moins le choix d’un être parfait, que celui d’un être imparfait, que l’on voudrait parfait, et que l’on se sent obligé d’amener le plus possible vers la perfection. Sans quoi, car le même principe me paraît devoir être à la base de l’amour, il ne resterait plus qu'à renoncer à tout, c’est à dire..

Au revoir, à Port-Cros.

Marcel