Chère madame et amie,
(Ce début est cérémonieux ; mais ma lettre ne le sera point). J'ai fait une figure assez maussade l’autre jour, chez vous. Vous me l’avez d’ailleurs fait remarquer (soit dit sans reproche), ce qui m’a beaucoup touché. (Mme Crémieux l’a vu et a pris ma défense) (Vous vous rappelez : c’était quand vous m’avez dit que Port-Cros m’avait mis de mauvaise humeur). (Je suis bien obligé de dire que c’est Mme Crémieux qui avait raison, en expliquant que ce n’était pas le voyage, mais le retour.) Mais je ne m’en reproche pas moins ma piteuse figure. Il est vrai que j’étais un peu malade. Quand je suis un peu malade, je deviens le centre de la terre (il faut que je le sois davantage, pour reprendre une place normale). - Je suis persuadé que vous avez fait exprès de me donner la part de gâteau à qui j’ai dû la royauté. Et cela me désespère. Quoi ! Vous me donnez une couronne qui aurait si bien convenu à la noble tête de Crémieux, ou à la tête énergique de Fernandez ; - et je semble la dédaigner, et je manque à tous les usages, bien pis : à la plus élémentaire politesse ! Non, non, je ne la dédaignais pas. Mais cet honneur m’accablait ; je ne m’en sentais pas digne. Hélas ! C'est bien plus simple : j’étais horriblement embarrassé. Songeant aux sourires, aux gestes que je devais faire, au bonheur que je devais arborer – je me sentais glacé. Je m'en suis tiré selon mon habitude, par une impolitesse. Mais maintenant que je vous ai tout révélé, j’espère que vous serez indulgente.
Je reviens à Port-Cros. Comment pouviez-vous me dire que les voyage à Port-Cros m’avait mis de méchante humeur. Vous m’avez défendu de vous remercier. Je vous dirai donc seulement ce que je me suis dit cent fois : de toutes les vacances que j’aie passées soit seul, soit en compagnie d’amis, ce sont les seules qui m’aient rendu pleinement content, qui m’aient libéré d’un tas de ruminations idiotes.