[1928]
jeudi
Mon cher ami,
Fernandez a une belle Bugatti. – Vu Prévost avant-hier, à la nrf. ; je lui demande si Malraux l’a déjà vu au sujet de la « littérature ». Son visage, de rogue, s’est lentement fait cordial. Il a accepté que je lui dise que préférer la Vie à ses enfants, de d’Aubigné, aux Tragiques, comme il fait dans sa préface, c’est une plaisanterie. Il m’a même confié que Faillite de Bost était aux autres romans de cet auteur comme 10 à 1. – J'étais donc à la nrf. Je veux me faire annoncer auprès de Gaston Gallimard ; dans la pièce des secrétaires, un vieillard, bavard, tremblottant, courbé, poussant un petit cri après chaque mot. – « Mais enfin, oui ou non, avez-vous annoncé qui j’étais ? » Une des secrétaires : – « Voulez-vous me rappeler votre nom, Monsieur ? » Lui – « J.– H.– Rosny – aîné – président – de l’Académie – Goncourt ! » Stupeur. Lui, d’un air malin : « – Peut-être avez-vous compris Rosmy ou Rosly ! ». La secrétaire, tête baissée, se glisse au bureau de G. G. [Gaston Gallimard] ; Rosny, satisfait, et furieux, grommelait : « – Quelles boîte ! Mais quelle boîte ! » Retour de la secrétaire : « – M. Gaston Gallimard n’est pas là. »
Lu Giraudoux. Ce n’est pas grand’chose. Amusant, sans plus, et bien long. Le Démon de la Connaissance ne me semble pas du bon Mauriac. Je goûte peu Suarès. J'aime beaucoup Supervielle, sauf quelques taches ; beaucoup Malraux, naturellement. Gide, oui, mais ça se répète. Les chroniques sont agréables ; celle de Gide, trop longue.
Lu Ta main gauche de Frédérix. Plus guindé que Bosco, mais plus élégant. Des pages très jolies. Un vrai don de narrateur. Lu Les Chardons du Baragan : le meilleur Istrati (je fais la note).
Bonjour à vous deux. Amusez-vous bien, et bonjour à toute l’île.
On m’apprend que Maritain est désespéré. Il ne fera pas la note qu’il vous avait promise sur Cocteau. Les relations Cocteau – Desbordes ont été la goutte d’eau… Surtout la valeur littéraire et morale que Cocteau et Max Jacob entendent donner au jeune marin. Scènes violentes. « C'est bien à vous de vous indigner