[1927]
2 novembre mon cher ami
je vous remercie de votre dernière lettre. J'y ai beaucoup pensé. Toutes les remarques que vous me faites sur Fin d’été… me semblent justes. Je m’y suis en effet laissé aller à dire des choses qui ne m’étaient pas nécessaires. Je m’en excuse.
Pour mes romans, c’est autre chose. Avant tout, faut-il dire que je n’en suis pas satisfait ? Mais peut-être me permettront-ils de faire un jour une œuvre qui, elle, me satisfera (dans la mesure où...). Et puis, et surtout... mais je ne vais pas pouvoir expliquer ce que je sens encore confusément... Je crois que vous ne devez pas vous placer sur le même plan en lisant un roman et un essai. Il y a une sorte de choc en retour, que j’attends du roman... Que vous dire ? assurément je n’ai pas pris le chemin le plus court, assurément encore je semble parfois me trahir. Mais j’ai l’intime conviction que vous verrez un jour que ce chemin était le mien, et que je ne devais prendre que ce chemin.
Si je suis demeuré « digne de la Route obscure » : ce sont des paroles un peu cruelles. On se juge assez mal soi-même ; cependant il ne me semblait pas avoir changé. Je ne me sens pas plus riche qu’alors, j’entends d’assurance, pas plus pauvre non plus, j’entends d’avidité et de malaise. Je n’ai guère changé qu’en perdant l’espoir (je ne dis pas le besoin) de changer.
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J'ai écrit quelques lignes sur l’enquête des Marges. Mais je ne veux parler ni de Lefèvre, ni de Vettard. Tout le monde sait à quoi s’en tenir au sujet des interviews de L., et, en l’occurrence, c’est M. Boulenger qui a tort. Quant à la citation Vettard-Crémieux, je ne puis m’empêcher de penser que M. Vettard figurait choisi par vous, dans ce comité nrf. que vous aviez mis sur pied l’an dernier ; c’est donc qu’il est digne d’estime ; pour moi, je ne le connais que par là et je tiendrai, jusqu’à preuve du contraire, la phrase que vous citez de lui, comme une bêtise malheureuse, mais non comme une malhonnêteté.
Si vous voulez que je continue cette ces réflexions sur la revue, ne pourriez-vous parfois m’envoyer quelques revues. J'en reçois fort peu. Si vous, ou la nrf., en faites collection, je ne les garderais que quelques jours.
– Que devient, s’il vous plaît, « mon » poème belge ?
– Si vous n’avez désigné personne pour parler de Raton et de sœur Félicité, de Fleuret, ne voudriez-vous pas demander à Malraux d’en parler ? Il le fera sans doute mieux que la plupart.
votre ami