Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre de Marcel Arland à Jean Paulhan, 1927 Arland, Marcel (1899-1986) 1927 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1927 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
IMEC, fonds PLH, boîte 92, dossier 095001 – 1927
Français

ÉCOLE DU MONTCEL

ENSEIGNEMENT SECONDAIRE DES GARÇONS

JOUY-EN-JOSAS

(S. & O.)

TÉLÉPHONE 30

DIRECTION

[1927]

1

mon cher ami,

Quand je vous écrivais ce mot auquel vous venez de me répondre, je songeais au plaisir que j’aurais à me rétracter. J'étais sincère en vous « grondant », mais je songeais, avec contentement, à cette lettre-ci, où je reconnais que je n’avais pas de motif de le faire. – Je suis vraiment fâché que tout cela soit aussi enfantin.

(J'étais d’ailleurs malade, et passablement découragé, quand je vous écrivais).

Vous avez raison sur tous les points de votre lettre. Permettez-moi une seule explication : J'étais ennuyé du retard apporté à la publication d'Intérieur, parce que la publication de mon livre en était d’autant reculée. – Mais pourquoi être ennuyé de ce dernier fait ? – parce que ce livre est composé depuis plusieurs mois, ce qui ne fait pas l’affaire de la maison Gallimard, Hirsch et Marchesseau (il y a 1/4 d’heure, on vient de me téléphoner à ce sujet). Et pour quelques autres motifs, dont je puis vous dire que vous les approuveriez.

[en haut de la page, à l’envers]

Ce 3èmeCongo est évidemment beaucoup plus important que les 2 premières parties. Il est émouvant, alors que le début me semblait ennuyeux. Cependant... - Bien lourd, le Proust ; on sent qu’il ne l’a pas remanié.

2/

Il est bien entendu que je vous laisse Intérieur, et que je suis content de vous le laisser. Mais, s’il vous est tout à fait impossible (cela veut dire : sans vous attirer d’ennuis) de le faire paraître en mars, pourra-t-il passer en avril ? (On me dit que le livre doit paraître en mars, – mais on ne s’opposerait sans doute pas à ce que je le retarde encore d’un mois.) Voulez-vous me répondre là-dessus ?

__

J'ai passé 12 jours à Varennes. J'ai continué mon roman, qui (je veux dire l’ébauche de mon roman) ; mais je ne vous en parlerai que si j’arrive à l’achever.

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Il ne faut pas prêter grande attention à la figure que je peux faire en allant vous voir, à la N.R.F. C'est, évidemment, une figure défensive, genre hérisson. – Tant de gens dans cette maison ! ces gens me dégoûtent et en même temps, j’ai honte de moi devant eux.

Il y en a d’autres, sans doute ; mais... ici, mille sentiments : « que pensent-ils de moi ? Je ne veux pas paraître chercher une leur sympathie. Parler ? non, on croirait que je me prends pour Dieu sait qui. Et puis ces parlottes sont lamenttables. Ce qui vous tient au cœur, vous ne le dites jamais. Ce serait à mourir de honte, d’ailleurs, de parler de belles et graves choses dans un couloir, en fumant une cigarette, avec

l’air « nous autres littérateurs »... Et puis, qu’ils pensent de moi ce qu’ils veulent. Je me fous d’eux... etc……. »

Quand enfin je suis avec vous (rarement seul d’ailleurs : les raisons ci-dessus jouent donc), il y a : crainte d’être importun, puis ennui du motif d’ordre littéraire de notre rencontre, puis : « cette conversation est médiocre, n’est pas le ¼ de ce qu’elle devrait être ». Et encore ceci, que je déplore : « faire des démonstrations de sympathie, c’est vouloir qu’on vous m’en fasse. Or qui vous me dit qu’on soit prêt à vous m’en faire ? » (Les 3 ou 4 visites que je vous ai faites, quand vous étiez au ministère,me sont m’ont été odieuses ; j’avais alors et je témoignais de la sympathie pour vous, qui me connaissiez à peine.) Et beaucoup d’autres piqûres, embarras, etc., que vous pouvez sentir. Je me disais tout à l’heure (j’hésitais à vous parler de ces minuties) : toute froideur, toute attaque, plainte, attitude hostile etc., en amitié,c’est il ne faut y voir que des témoignages d’amitié. Si je ris en écrivant

cela, ce n’est pas que je doute que cela soit vrai, mais je sais bien que jamais je ne me tiendrai un tel raisonnement, sinon pour m’innocenter.

– Voilà commencer l’année par beaucoup de « moi ».

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J'aime beaucoup la dernière nrf. Je n’ai pas encore lu Gide ni Proust. Mais Amiel est curieux et touchant. Et si j’écarte l’allure d’Annunzio et l’imitation de Chateaubriand – de Montherlant, je goûte beaucoup sa puissance ; immédiatement, je proteste : boursouflure, rien de nouveau ni dans la pensée, ni dans l’attitude, et ni, peut-être, dans le style ; n’importe, cela sonne, cela n’est pas médiocre. Je préfère de beaucoup cela à… par exemple à Mauriac (qui me choque beaucoup moins). J'aime beaucoup la partie critique, particulièrement la note de G. [Gabriel] Marcel, qui est courageuse.

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J’ai relu le « Dostoiewski » du V. de Vogüé. Avec toutes les insuffisances et les faiblesses d’esprit qu’on voudra, personne, ni Gide, ni Aimée Dost. [Dostoïevski], n’a fait mieux que certaines pages de ce livre. Le récit des funérailles est beau.

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« La Comédie du Bonheur », d’Evreïnoff, plutôt que de Pirandello, est tirée du Canard Sauvage, d’Ibsen.

Votre ami

m.a.