ÉCOLE DU MONTCEL
ENSEIGNEMENT SECONDAIRE DES GARÇONS
JOUY-EN-JOSAS
(S. & O.)
TÉLÉPHONE 30
DIRECTION
[1927]
1
mon cher ami,
Quand je vous écrivais ce mot auquel vous venez de me répondre, je songeais au plaisir que j’aurais à me rétracter. J'étais sincère en vous « grondant », mais je songeais, avec contentement, à cette lettre-ci, où je reconnais que je n’avais pas de motif de le faire. – Je suis vraiment fâché que tout cela soit aussi enfantin.
(J'étais d’ailleurs malade, et passablement découragé, quand je vous écrivais).
Vous avez raison sur tous les points de votre lettre. Permettez-moi une seule explication : J'étais ennuyé du retard apporté à la publication d'Intérieur, parce que la publication de mon livre en était d’autant reculée. – Mais pourquoi être ennuyé de ce dernier fait ? – parce que ce livre est composé depuis plusieurs mois, ce qui ne fait pas l’affaire de la maison Gallimard, Hirsch et Marchesseau (il y a 1/4 d’heure, on vient de me téléphoner à ce sujet). Et pour quelques autres motifs, dont je puis vous dire que vous les approuveriez.
[en haut de la page, à l’envers]
Ce 3èmeCongo est évidemment beaucoup plus important que les 2 premières parties. Il est émouvant, alors que le début me semblait ennuyeux. Cependant... - Bien lourd, le Proust ; on sent qu’il ne l’a pas remanié.
2/
Il est bien entendu que je vous laisse Intérieur, et que je suis content de vous le laisser. Mais, s’il vous est tout à fait impossible (cela veut dire : sans vous attirer d’ennuis) de le faire paraître en mars, pourra-t-il passer en avril ? (On me dit que le livre doit paraître en mars, – mais on ne s’opposerait sans doute pas à ce que je le retarde encore d’un mois.) Voulez-vous me répondre là-dessus ?
J'ai passé 12 jours à Varennes. J'ai continué mon roman, qui (je veux dire l’ébauche de mon roman) ; mais je ne vous en parlerai que si j’arrive à l’achever.
Il ne faut pas prêter grande attention à la figure que je peux faire en allant vous voir, à la N.R.F. C'est, évidemment, une figure défensive, genre hérisson. – Tant de gens dans cette maison ! ces gens me dégoûtent et en même temps, j’ai honte de moi devant eux.
Il y en a d’autres, sans doute ; mais... ici, mille sentiments : « que pensent-ils de moi ? Je ne veux pas paraître chercher une leur sympathie. Parler ? non, on croirait que je me prends pour Dieu sait qui. Et puis ces parlottes sont lamenttables. Ce qui vous tient au cœur, vous ne le dites jamais. Ce serait à mourir de honte, d’ailleurs, de parler de belles et graves choses dans un couloir, en fumant une cigarette, avec
Quand enfin je suis avec vous (rarement seul d’ailleurs : les raisons ci-dessus jouent donc), il y a : crainte d’être importun, puis ennui du motif d’ordre littéraire de notre rencontre, puis : « cette conversation est médiocre, n’est pas le ¼ de ce qu’elle devrait être ». Et encore ceci, que je déplore : « faire des démonstrations de sympathie, c’est vouloir qu’on vous m’en fasse. Or qui vous me dit qu’on soit prêt à vous m’en faire ? » (Les 3 ou 4 visites que je vous ai faites, quand vous étiez au ministère,me sont m’ont été odieuses ; j’avais alors et je témoignais de la sympathie pour vous, qui me connaissiez à peine.) Et beaucoup d’autres piqûres, embarras, etc., que vous pouvez sentir. Je me disais tout à l’heure (j’hésitais à vous parler de ces minuties) : toute froideur, toute attaque, plainte, attitude hostile etc., en amitié,c’est il ne faut y voir que des témoignages d’amitié. Si je ris en écrivant
– Voilà commencer l’année par beaucoup de « moi ».
__J'aime beaucoup la dernière nrf. Je n’ai pas encore lu Gide ni Proust. Mais Amiel est curieux et touchant. Et si j’écarte l’allure d’Annunzio et l’imitation de Chateaubriand – de Montherlant, je goûte beaucoup sa puissance ; immédiatement, je proteste : boursouflure, rien de nouveau ni dans la pensée, ni dans l’attitude, et ni, peut-être, dans le style ; n’importe, cela sonne, cela n’est pas médiocre. Je préfère de beaucoup cela à… par exemple à Mauriac (qui me choque beaucoup moins). J'aime beaucoup la partie critique, particulièrement la note de G. [Gabriel] Marcel, qui est courageuse.
J’ai relu le « Dostoiewski » du V. de Vogüé. Avec toutes les insuffisances et les faiblesses d’esprit qu’on voudra, personne, ni Gide, ni Aimée Dost. [Dostoïevski], n’a fait mieux que certaines pages de ce livre. Le récit des funérailles est beau.
__« La Comédie du Bonheur », d’Evreïnoff, plutôt que de Pirandello, est tirée du Canard Sauvage, d’Ibsen.
Votre ami
m.a.