Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre de Marcel Arland à Jean Paulhan, 1926 Arland, Marcel (1899-1986) 1926 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1926 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
IMEC, fonds PLH, boîte 92, dossier 095001 – 1926
Français
[1926]

Vous me connaissez mal, monsieur Jean Paulhan, pour croire que je n’ai jamais lu « Paris-Flirt », « Frou-Frou », et autres feuilles où se traduit de façon assez touchante le manque de bonheur des hommes. Je ne les lis plus guère aujourd’hui, sans doute, non que leur perpétuellebêtise naïveté me semble moins digne de pitié, mais parce que je les connais par cœur. Il n’y a pas plus de cinq ou six ans, j’avais moi-même fait insérer une annonce dans un de ces journaux. Je ne l’ai pas regretté. Parmi les jeunes personnes dont la fréquentation me fut procurée par cette annonce, je me rappelle une jeune fille, au visage de cerise, qui m’avait donné rendez-vous à St Lazare (à la gare) ; nous allâmes dans un café, je commençai à l’embrasser, elle se mit à pleurer ; je craignis qu’elle ne fût atteinte d’une maladie des yeux ; mais non, à peine séparés, elle ne pleurait plus ; à peine approchais-je mon visage du sien : elle repartait. Une autre se nommait Mireille, elle était prix de beauté (et de vertu) des Lilas ; j’étais soldat, même E.O.R., et dans un merveilleux costume j’allais la rejoindre chez sa grand’mère ; elle faisait paître des chèvres près d’un fort ; depuis le fort, des soldats se moquaient de nous ; alors elle prenait mon képi, mon beau képi et, le mettait sur sa tête et menaçait les soldats. Elle avait coutume de me dire : « M__, je ne veux pas que vous me rendiez folle par le corps » ; cette tournure latine me ravissait. – Une troisième, un mois après que nous nous fûmes rencontrés, nous nous trouvâmes devant la Monnaie, sur les berges de la Seine ; je voulais voir jusqu’où cela irait. Mais je dus user de violence : cela aurait été jusqu’à Dieu. Les femmes m’ont

toujours semblé d’un admirable courage. A cette époque je passais la plupart de mes soirées à rôder jusqu’à ne plus pouvoir marcher de fatigue. C'était assez douloureux. C'est un peu pour fuir, non pas un tel état d’âme, mais une telle manifestation de cet état, que je me suis réfugié au Montcel. Vous voyez que j’ai autant de souvenirs que Gabory de chant serait mais les raconter avec un sourire, je m’en sens bien incapable.

Que bavardage. Je vais vous rapporter Gide, que j’aime vraiment beaucoup, et Sade, qui m’a bien ennuyé, non pas l’homme, non pas ses intentions, mais l’œuvre et son obscénité.

Oui, Gualène est J'ai la même opinion que vous sur Gaulène. Je viens de demander ses livres précédents, qui ne valent pas celui-ci, sans doute. Si vous lui demandez qqch. pour la revue, il vous donnera sans doute une nouvelle : or elle sera mauvaise, car il ne peut déployer sa force qu’en 200 pages ; en 20 pg., il ne montre que sa vulgarité.

N'oubliez pas de m’envoyer Dostoïevski, quand si vous le recevez.

A propos de Gide,

Votre ami m. arl