Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre de Marcel Arland à Jean Paulhan, 1953-12-31 Arland, Marcel (1899-1986) 1953-12-31 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1953-12-31 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
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nrf

[1953]

31 déc. [décembre]

Cher Jean,

Je suis venu à Brinville passer la dernière nuit de l'année avec les chats, le chien, quelques vieux souvenirs, et pas mal de solitude dans cette grande maison.

- Nous n'avons pas déjeuné ensemble aujourd'hui. Ce sera pour jeudi prochain, si tu veux. Je crois que ces déjeuners sont utiles.

- Oui, chacun de nous doit montrer à l'autre toutes les lettres où celui-ci est critiqué.

- Oui, nous ne donnerons rien à une revue, un journal français (sinon en plein accord, quand une exception paraîtra souhaitable).

- Mais je comprends que les conditions « assez avantageuses » de la Parisienne t'aient fait un instant rêver. C'est que, me semble-t-il, nous sommes peu rétribués chez Gallimard. Je dis « nous » songeant que tu ne reçois pas sans doute beaucoup plus que moi (en fin de compte, je gagne moins que l'an dernier - le travail de la revue me prenant presque tout mon temps).

- Je suis ennuyé, certes, des récriminations (et même l'on peut dire parfois des manoeuvres) - disons des procédés inamicaux, de nos collabororateurs. Mais plus encore de toutes les insuffisances de la revue. 

Qui parle de poésie aujourd'hui ? Qui fait un effort pour la défendre ? Rousseaux, Saillet. Je suis honteux de l'attitude de la nrf, de sa négligence, de son manque de générosité, de son manque de combativité.

Solier, Thomas, Lambrichs etc., n'ont que trop beau jeu, s'agissant d'une revue qui manque à tel point d'élan, de dévouement, de volonté.

Ne dis pas que je prends les choses au tragique. Si ce n'était pour donner à la revue tout ce que je puis donner, à quoi bon être entré dans cette histoire ! Nous n'avons pas le droit de faire les choses à demi.

-  Mais je ne manque ni de confiance, ni d'obstination.

Et bien que te plaises un peu trop à me faire grimper ;

bien que, si tu poses Rebattet = Proust et Malraux, Dhôtel > Gide + Dickens, défection de SOlier = épouvantable catastrophe..., je songe aussitôt au mot de Talleyrand : « Tout ce qui est exagéré ne compte pas » ; 

bien que, si je devine, pour la nrf., l'utilité d'un salon, je voie beaucoup mieux encore la nécessité d'une caverne ;

bien que, au cours de l'an passé, tu aies été deux ou trois fois injuste à mon égard (en pensée) ; 

bien que, si je suis pour le Bulletin, je regrette qu'il se ramène, en somme, à Mauriac, Aragon et les divers papillons ; 

bien que, surtout, je ne connaisse que trop mes faiblesses, mes manques et mes désagréments.

- Je mets beaucoup d'espoir dans l'année qui vient,

et je t'embrasse

M.

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