J’ai trouvé ce soir tes deux lettres : j’en suis bien content. En te faisant cette taquinerie, j’ai fait comme si je te l’adresserais directement, seul à seul ou devant quelques familiers qui n’auraient pu s’y méprendre. J’ai eu tort, puisqu’il s’agissait d’un journal, d’un public. Mais j’ai un peu payé mon tort par le tracas qu’il m’a donné (« tracas » est une litote).
Je n’ai plus sous la main la lettre où tu me parlais de Blanchot. Mais tu penses bien que je le souhaite vivement.
Char ? J’ai beaucoup d’estime pour lui. Mais je ne parviens pas au plein enthousiasme. Je suis souvent arrêté. Et même parfois il m’ennuie à peu. Je le dis à ma charge.
Question pour question : que penses-tu de Gracq ? Je vois que partout l’on s’extasie sur la beauté de son style : si l’on a raison, je renonce à composer le second tome de ma Prose Française.
Laissons L’on l’a lu. Tu es un peu responsable de l’usage immodéré que l’on fait aujourd’hui de l’on. Je ne sais plus ce que dit Vaugelas. C’est une question d’oreille.
J’aime, par exemple : que l’on fasse, quoi que l’on fasse. Et j’ai bien fait d’écrire plus haut : partout l’on s’extasie et si l’on a raison : là j’évitais un son fâcheux ; ici, j’introduisais plus de fluidité.
J’admets, dans une langue élégante et serrée, j’admets chez toi, qu’une phrase commence par l’on : L’on affirme..., L’on méprise… ( je ne l’emploie pas, qui suis plus simple – comme le prouve ce qui ! - et je crois qu’il vaut mieux que le mot qui suit l’on commence par une voyelle. Au reste, entre l’on prétend et on prétend, je vois une nuance : l’on prétend est plus particulier et fait grand cas de ce on; on prétend, c’est tout le monde, c’est le commun des hommes, qui prétend.
Mais j’aime peu l’on a lu, qui certes n’est pas ridicule, mais un peu provocant, ou tout au moins un peu pincé. (Ne l’aurais-tu pas écrit?)
Je t’embrasse