Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre de Pierre Bettencourt à Jean Paulhan, 1952 Bettencourt, Pierre (1917-2006) 1952 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1952 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
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[1952] Cher Jean Paulhan,

J’étais content de vous revoir. J’aimerais bien que vous puissiez continuer de vivre ainsi très longtemps – quand vous ne serez plus là, il y aura un sourire de la vie qui me manquera. Mais c’est nous qui restons la perle - d’être en vie, c’est cela la merveille. Je ne crois pas qu’une œuvre ait jamais beaucoup d’importance ; on s’en vêt, on s’en pare, on dit : admirez moi, alors que c’est l’homme nu qui compte - c’est un métier trop dangereux d’être homme de Lettres et qui prête trop à la vanité - quelqu’un de vraiment réussi n’aurait besoin ni d’écrire ni de faire, il vivrait de l’unité du monde dans sa tête, tout lui serait matière à contemplation, à rayonnement à l’infini - il n’aurait plus de temps à perdre pour s’exprimer par caractères interposés.

Je sais bien qu’avec « la lumière » j’ai trouvé la clef de l’existence ; c’est un mot qui ouvre toutes les portes. Et qui vous donne la certitude et la joie. Vous me direz que les vers luisants aiment la nuit, que le grand jour les anéantit. Mais il les recharge et j’aime bien penser à la force, la cruauté (contingeante) [contingente] mais aussi à l’intelligence et à la bonté de la lumière, et qui est seule capable de vous anéantir comme il faut ; Je ne tiens pas à être un vers luisant, j’aime bien me sentir peu de choses dans la main des rayons. Et ce sont eux qui nous mènent. Le spectacle de la justice divine sur terre, est si grandiose, si implacable, si mathématique, que la folie et l’aveuglement des hommes ne peut relever que d’un surcroit d’animalité, comme ces animaux poisons, mouches, qui se jettent étourdiment dans la flamme ; or nous sommes fait pour réfléchir, pour nous tenir à bonne distance de Dieu, pour en jouir ; un adorateur est respectueux, parce qu’il est prudent. Mais les hommes sont enragés à cerner Dieu ; leurs sciences sont comme des meutes qui le pourchassent sans repis [répit]. Ils ne savent plus s’arrêter pour voir et profiter du Paradis Terrestre qui leur a été donné. Pour moi j’ai frappé et l’on m’a ouvert - cela suffit. Ma vie est légère maintenant. Sur toute la surface de la Terre je suis chez moi - c’est cela mon Paradis - il y a tant d’hommes à connaître, de bêtes aussi. Votre ami, Pierre B.