Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre de Pierre Bettencourt à Jean Paulhan, 1951-06-12 Bettencourt, Pierre (1917-2006) 1951-06-12 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1951-06-12 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
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Faré - dans l’île de Huahine

sous le vent de Tahiti-

12 juin 1951 Cher Jean Paulhan

Je viens de faire consciencieusement en 3 jours le tour d’une petite île du Pacifique Huahiné, à pied et en pirogue - les sentiers sont fuyants et les routes, il n’y en a qu’une sur 7 kms entre Faré et Maeva - ces îles apparemment dorées avec leur lumière, leur eau, la beauté de leurs montagnes et de leur végétation, rencontre renferment un nombre extrêmement varies d’enfers sur terre - j’y ai fait connaissance avec les enterrés vivants, 3 colons (depuis 30 ou 40 ans) qui sont venus se terrer là du reste du monde. Ici le péché a un visage, tous ces demi, tous ces ¾ qui n’arrivent pas à bout de leur caractère, mi-juif, mi tahitien, mi chinois - on ne peut plus croire en l’âme humaine ou bien l’âme c’est d’être pur-sang, d’avoir un but, et d’y aller - ici le but s’émiette, les gens se laissent engluer et les velléitaires sont innombrables - les femmes sont belles dix ans de 16 à 25 ans - puis elles épaississent et tournent en eau - on les supporte ensuite toute sa vie comme partout sans doute, mais sans y trouver cet accord de caractère qui permet à la beauté de laisser le pas pour une entente plus profonde - la vegetation comme les filles sont pleines de pièges. Le coprahs avec sa richesse fait du partage des terres la source d’invraisemblables imbroglios. Tel qui se croyait propriétaire depuis 20 ans, ayant acheté sa terre à quelqu’un qui ne la possédait pas, se trouve du jour au lendemain depossédé par un héritier plus valable qui la lui paie son prix d’achat, une somme dérisoire, et s’installe. Huahiné, ou j’habite seul une case du gouvernement, construite sur pilotis dans la mer, n’a pas de voitures, pas d’électricité, et doit représenter assez bien le Tahiti d’il y a 30 ans. Mais les protestants construisent leurs temples encombrants dans les charmants petits villages lacustres, le gouvernement monte ses écoles préfabriquées, Plouvana vient faire des discours électoraux - toutes les bêtes sont à l’attaque - heureusement je ne suis pas d’ici, je viens voir, je souris. Je pourrais rentrer chez moi le cœur tranquille - le paradis est bien dans ma petite imprimerie du bord de la Seine - Votre ami - Pierre B.