Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre de Pierre Bettencourt à Jean Paulhan, 1951-06-22 Bettencourt, Pierre (1917-2006) 1951-06-22 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1951-06-22 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
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Vendredi 21 juin 51 Cher Jean Paulhan -

Vraiment ce voyage est enfantin. Et je ne comprends pas – si je m’en réjouis - que tout le monde ne vienne pas passer ses vacances à Bora Bora. Le bateau n’est pas venu cette semaine ce qui me permet d’y passer une semaine de plus. Le matin je vais tapper [taper] des lettres de Ropiteau à Vahiné à Térüvala (que j’ai vue l’autre jour à Maupiti) sur la machine du candidat à la deputation d’ici. L’après midi je vais à la pêche, en pirogue à balancier- arrive du large un petit côtre à voile rouge d’ou débarque un sympathique jeune Breton (31 ans) qui fait le tour du monde et est parti depuis deux ans - Il me prête le Regne de la Quantité et la Crise du monde moderne – que je désirais lire depuis longtemps. Je loge dans un commanding officer. Le seul touriste de l’île est un américain Pocke Weiler – il a un frère et une affaire en commun – celui qui la dirige à 60% et celui qui n’est pas là 40%. Il préfère avoir 40 et être absent – on le comprend – pour l’instant il installe une gouttière sur ma maison qu’il convoite - (j’ai un lit à deux) Et lui deux lits à un - mais comme dit l’indigène d’ici - « ça ne fait rien » - (rien ne fait rien)

Des petits sentiers mènent aux cols (dans un paradis terrestre de verdure) d’où l’on a des vues qui vous comblent les yeux de beauté et de joie. Les gens sont gentils je prends mes repas chez un pêcheur qui est marié à une demi-française très gentille. Je mange invariablement du riz, du poisson cru, des bananes frites, et bois de l’eau de coco, le tout pour 65 frs par jour (multipliez par 5) - Je n’ai pas encore éprouvé le besoin de me lier avec l’élément féminin de la population. Peut être qu’a vieillir, le poids des responsabilités morales, ou la peur des complications, vous tient dans le no-women’s land de la vie solitaire. Pourtant par les lettres de Ropiteau (bien plus que par les ouvrages de Loti) j’aurai pu comprendre ce que peut être un amour dans les îles. Mon séjour à Maupiti en a été imprégné d’une vague nostalgie. Et faire l’amour vous parait trop simple, trop loin du compte pour vous satisfaire - J’ai lu sur mer entre Maupiti et ici le journal de Gide 39-42 - on en sort avec le desir de se cultiver et de rentrer en France pour cela. Bien que la culture que j’acquiers ici ne soit pas négligeable – et j’ai besoin d’avoir le monde en tête pour me sentir l’âme en paix. Je vous envoie d’amicals saluts - P.B.