Il y a trois semaines, Robert Gallimard me faisait parvenir un chèque de 25.000 francs pour le livre de contes « L’oeil de la Tempête ». Cela faisait des années que je n’avais pas eu devant moi cette petite somme qui permet de respirer, de se dire pendant quelques jours : rien ne m’empêche d’écrire. J’ai aussitôt laissé toutes les besognes de côté, et je me suis mis à ce livre auquel je songeais depuis longtemps, sorte de roman-journal : « les mauvais jours ». J’ai écrit plus de cent pages. Me voici de nouveau obligé de m’arrêter, de perdre le fil. J’ai dépassé les jours libres, les besognes en retard se sont accumulées, les vrais « mauvais jours » sont là. Pour combien de mois, ou peut-être à nouveau d’années ? Personne n’y peut rien
Le livre ? C’est l’histoire en gros d’un personnage pris par l’envie d’écrire, mais qui ne parvient pas à le faire, gêné par tant de choses, et qui attend. Finalement il semble y parvenir, mais c’est pour écrire le journal de ces « mauvais jours » qu’il vient de passer.
J’ai quand même refusé un travail de re-writen que l’on m’a proposé à « Radar » ces jours derniers.
Je ne sais si vous avez aimé le petit conte « Dehors la nuit » que je vous avais envoyé, en pensant un peu au « temps, comme il passe ». J’ai eu du plaisir à l’écrire.
Je voudrais bien quitter un peu Paris. Ce soleil me fait déjà regretter cette maison de campagne abandonnée, pour quoi finalement, pour d’autres besognes ? Peut-être quand même pour ces cent pages déjà écrites ces derniers jours.
Je suis allé voir plusieurs fois Armen Lubin. C’est une extraordinaire sympathie dès qu’on le voit. Je l’aime beaucoup. Que faire pour lui ? Pour qu’il reste près de Paris ? Pour qu’il ait tout au moins, dans n’importe quel établissement une chambre à lui ? Depuis dix ans il n’a jamais été seul. On ferme sa lampe tous les soirs à 9h, et pendant la nuit, il griffonne au hasard quelques mots sur un bout de papier.
Henri Thomas va peut-être venir passer quelques jours à Paris.
Je vais me remettre non pas au roman que je viens de quitter avant de vous écrire, mais à l’histoire des « messieurs catholiques’ », abandonnée depuis trois semaines, hélas payée d’avance. Puis à quelques lectures de manuscrits pour le Club du livre et les Éditions Stocks. Mais si peu. Ne pourrais-je obtenir des lectures à faire chez Gallimard ? C’est encore le travail le moins sot malgré le temps qu’il prend. Je voudrais bien. Cela permet au moins d’attendre.
Vous me pardonnerez cette lettre subite. Je vous dis toute ma meilleure amitié.
C’est surtout pour vous dire que j’ai pu travailler que je vous écris.