Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre de Gabriel Bounoure à Jean Paulhan, 1955 Bounoure, Gabriel (1886-1969) 1955 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1955 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
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Les Quatre Vents :

Lesconil (Finistère)

[1955]

Bien cher ami – n’allez pas croire que les Quatre Vents soient une de ces appellations prétentieuses dont les calicozoaires décorent leurs villas en banlieue. C'est réellement le nom du quartier que j’habite en Lesconil ; ce nom est sorti spontanément de l’ « âme populaire », et sans aucune allusion hugolienne. Il serait à souhaiter que les brises qui se donnent rendez vous au bord de ce vieil estuaire fussent authentiquement filles de l’esprit. Mais rien n’autorise à le croire.

Non, car ce qui règne ici, c’est la stupeur des « climats chauds & bleus ». La Bretagne s’est transformée cette année en une incroyable Floride. Fuite des sardines car les eaux sont trop chaudes ! C'est à se demander pourquoi Gauguin a quitté Pont Aven. Il avait à sa porte les Marquises, sous ses fenêtres les Tuamotou.

Quand j’entends les rudes syllabes du parler bigouden, je crois entendre une de ces langues « picturales » du Pacifique. Après un tel dépaysement, l’Egypte revêt à mes yeux le caractère bourgeois & trop connu d’'une grande banlieue

Audiberti est là et tout son être est suffoqué de saisissement devant cette Cimmérie, ces millénaires qui grimacent dans le faciès des rocs hérissant la pénéplaine & les paluds, le fantastique des mégalithes, la phonétique cornouaillaise. Il n’avait jamais vu la marée, ce prodige bi-quotidien. Cet homme d’Antibes n’en revient pas. Attendons nous à trouver dans son prochain livre l’immense intumescence du Père Océan. Un seul regret : pas d’oursin à la senteur de violette à déguster au soleil avec du vin de Cassis !

Je vous envoie quelques pages sur Char, l’homme et le poète. Pas d’oeuvre poétique qui soit plus habitée par l’homme caché dans le poète. Le porteur de cette tumeur maligne qui s’appelle poésie à réussi à s’en faire une santé. Je suis mécontent de ces pages : j’aurais voulu un ton froid & neutre. Mais la poesie, avec son indiscrétion insupporttable, impose sa loi, son ton, ses mots. C'est agaçant !

Je serai à Paris dès avant l’équinoxe et vous ferai signe, car j’ai une fringale de vous voir. Très fidèlement & affectueusement à vous.

Bounoure