Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre de Gabriel Bounoure à Jean Paulhan, 1954-03-10 Bounoure, Gabriel (1886-1969) 1954-03-10 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1954-03-10 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
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Immeuble du Dr Ibrahim Kadri

Rue Ibu [Radwan] El Talib

Giza – Le Caire

le 10 mars [1954]

Bien cher ami. J'ai été infiniment touché par votre affectueux entêtement à parler d’un bouquet que m’offrirent un jour quelques jeunes gens du vieil Orient. Vous y avez ajouté la fleur la plus odorante, la tubéreuse du plus bel été. Après ça, comment vous adresser des reproches, - ceux que vous avez pourtant bien mérités. Où trouver le courage de blâmer une amitié si délicate et si acharnée à l’être ? Vous savez bien d’ailleurs que vous êtes l’homme de France dont l’opinion, - comme elle est à tous la plus redouttable, - est pour moi celle qui compte le plus. Un mot d’approbation sortant de vos lèvres, et de votre zénith, c’est beaucoup mieux que toute gloire. Car, comme le dit Rilke, « tout ange est terrible. »

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Oui, je pense pouvoir vous envoyer sans trop tarder une ou deux pages sur Supervielle, bien que son dernier recueil « 1939-1945 » (est-ce le dernier en fait ?) n’exprime plus que faiblement cet étonnement d’habiter la Terre qui autrefois soulevait ses poëmes. Je parlerai peut être de ce thème du père qui assez étrangement l’a hanté, - mais dont il me semble qu’il a trop borné la signification familiale, au premier cercle humain autour de nous...

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Vous seriez gentil de faire paraître la petite note que je vous ai adressé sur Marcel Abraham. Le bon ami, qui a vu s’évanouir beaucoup d’objet autour de son cœur malade, s’est beaucoup attaché à son Buch der Lieder. Parler de lui ; c’est en faire un convalescent : c’est lui donner l’hiver

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Vous m’aviez parlé d’Edmond Jabes. C'est un homme que j’aime bien, car il ne cesse de travailler avec ardeur et innocence, à sa métamorphose en poesie. C'est le plus pur des possédés. Il se fait destin des mots, de leurs aventures et même de leurs cabrioles dans cette forêt où il marche à tâtons. Vous avez dû recevoir (second envoi) ce petit livre : « les mots tracent », accompagné de compléments. Le grand désir de Jabès serait que le tout pût paraître dans la collection Métamorphoses. Et que tout de suite, la NRF donnât quelques échantillons de ces aphorismes – poemes, où les mots, laissés à eux-mêmes comme une eau, coulent à l’oreille de l’esprit des confidences singulières. Je voudrais beaucoup connaître votre jugement et vos intentions concernant Jabès.

J'aime à croire que ni vous ni les autres n’avez souffert d’un hiver qu’on nous a dit si rude. Je vous embrasse affectueusement

G.B