Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre de Gabriel Bounoure à Jean Paulhan, 1954-03-25 Bounoure, Gabriel (1886-1969) 1954-03-25 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1954-03-25 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
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Immeuble du Dr Ibrahim Kadri

Rue Ibu [Raidvan] El Tabib

Giza – Le Caire

25 mars [1954]

Bien cher ami. Voici un essai de définition de notre ami Julio. Je connais mal ses dernières œuvres : elles ne sont point dans la demi douzaine de bouquins sauvés de mon naufrage Phénicien. Au Caire, elles sont introuvables. En sorte que mon papier a un petit air provincial et pas au courant, qui vous frappera. Mais n’est ce pas, quand on habite l’Afrique... Dites moi si je n’ai pas trop mis à côté de la plaque...

[C]

Je suis moins troublé de prendre la parole à côté de Claudel qu’à côté d’Henri Thomas, dont le sens poëtique, toujours infaillible est un électroscope à feuilles d’or & à ailes de libellule

[D]

-

Vous serez responsable d’une crise cardiaque chez Marcel Abraham, si vous ne publiez pas, toutes affaires cessantes, ma note sur ses « Routes ». Cet ami, au cœur sensible et menacé, s’étonne douloureusement de voir que je ne suspends pas une couronne à son livre. Il croit que c’est moi le coupable.. Et il n’osera jamais se plaindre directement au responsable – car il m’a confié que vous étiez le seul homme au monde à le mettre dans un état de timidité insurmonttable. Jusqu’à la paralysie. C'est ce qu’un illustre écrivain à si bien nommé la Terreur dans les Lettres.

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[A]

Le Massignon du mois de février est magnifique. Je pense qu’on vous l’a dit de tous les côtés (sauf bien entendu la clique colonialiste d’Afrique du Nord et les Ubus de la métropole !) Derrière ce texte violent & raffiné, on voit toutes les fébriles passions présentes de Massignon notre ami , la hantise du sacrifice expiatoire de la vie, sa réconciliation finale avec l’esthétique iranien, - alors que naguère encore il le maudissait au nom de l’ascétisme dur et calciné des arabes. Il niait toute attache persane d’Al Hallay, refusant de l’enraciner dans ce sol où fleurit un uranisme délicat –

[B]

Extraordinaire personnalité de cet homme que chaque journée crucifie. Vous devriez faire un « hommage à Massignon », pour le moment de sa retraite du Collège de France. Les érudits lui préparent, selon une coutume non exempte de comique, un volume de Mélanges mais les érudits se caractérisent par une intelligence absolue des points de vue massignonesques. Mieux vaudrait une stèle dressée par des arabes illettrés

-

Vous allez recevoir la visite d’Edmond Jabès. Je l’ai encouragé à vaincre une timidité aussi forte que celle de Marcel Abraham. Un amour de la poesie aussi dévot, aussi fervent et quelquefois éperdu, je n’en connais point. Il n’y a qu’en Orient qu’on voit ces folies (chez un agent de change! Cela passe l’imagination !) Son inquiétude, son excitation devant le mystère de l’homo loquens, son sentiment sémitique à dépasser le concept, au lieu que pour nous le terme arrête l’idée, tout cela donne grand intérêt & grande valeur au livre qu’il nous présentera.

Au revoir, bien cher ami, je vous embrasse affectueusement

GB