Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre de Gabriel Bounoure à Jean Paulhan, 1936 Bounoure, Gabriel (1886-1969) 1936 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1936 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
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[1936]

Je vous envoie, mon bien cher ami, avec beaucoup de retard, une note sur les deux derniers livres de Tristan Derême. La Folie Tristan mais comme ce Tristan a peu de folie, peu de cette folie sans quoi il n’est point de poësie. Peut-être aurais-je dû me borner aux deux premières lignes de cette note. Ou même au silence. Il vaut beaucoup mieux se taire, lorsque l’on n’aime point. Le courage & la lâcheté du critique sont souvent voisins, si communicants, si portés à se camoufler l’un l’autre & l’un en l’autre qu’il faut avoir mille fois raison pour user de sévérité. On devrait uniquement se montrer sévère quand il y a usurpation criante de la gloire temporelle et scandale public causé par le mensonge du faux art. Mais c’est vous, cher ami, qui m’avez engagé à relever les affirmations intolérables de M. Décalandre sur la nature de la poësie & la poësie pure. Il y avait là une insulte à ce que nous aimons, qu’il est bien difficile de ne pas ressentir avec vivacité.

Je tiens mal mes promesses, celles que je vous ai faites de vous envoyer régulièrement quelques notes. Il faut m’excuser : j’ai trouvé en arrivant ici une besogne fort accablante et voici que les étudiants de Damas, entrainés par ceux du Caire, nous donnent beaucoup d’ennui. Il faut que je me fasse l’avocat de ces enfants pour les défendre contre les conceptions que la Sureté Générale & la Police se font de l’ordre. Un collégien de quatorze ans a été tué avant hier. Tout cela est affreux, d’une absurdité sans nom & on a honte d’y être mêlé.

Cependant Beyrouth est plein de narcisses & de roses. La mer où je me baignais aujourd’hui était élastique, souriante, charnelle & fleuve de vie. Et toute la campagne du Sahel est verte & fraiche comme les charmants jardins d’Adonis de la Sainte Barbe grecque-orthodoxe

Nous avons un délicieux petit chat d’Angora, tout blanc, né à l’automne en notre absence sous les frangipaniers du jardin.

N'avez vous pas aimé le poëme de Georges Schehadé. Il est né lui aussi sous les frangipaniers.

A vous deux, nous envoyons nos vœux les meilleurs & nos vives, nos fidèles amitiés

G.B