Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre de Gabriel Bounoure à Jean Paulhan, 1933-01-10 Bounoure, Gabriel (1886-1969) 1933-01-10 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1933-01-10 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Français
Beyrouth, 10 janvier 1933 Bien cher ami

L'amitié que vous me donnez m’est bien précieuse et bien secourable. Je suis toujours dans la peine & l’angoisse. Les affections fraternelles, vous le savez, lorsqu’elles existent en vérité, sont parmi les plus solides qui soient : la nature & le choix coopèrent : une secrète union des vouloirs prépare l’accord silencieux des esprits. Une sœur, si réellement elle aime son frère, le comprend, le devine, l’approuve mieux que personne au monde. C'est vous dire tout ce que je suis à la veille de perdre et mon très dur chagrin.

Madame Paulhan interrogeait ma femme sur le caractère donné par vous à la N.R.F., si nous approuvions toutes vos innovations, par exemple, la publication des « Documents . » Douteriez vous de votre entreprise, cher ami ? Je ne puis le croire. Vous avez apporté une hardiesse et une liberté d’esprit qui ont métamorphosé cette œuvre. Avant vous elle vivait renfermée dans une sorte de pudeur littéraire et de timidité moraliste : on y avait le culte de la sincérité, mais dans un cercle de conventions, dans une sphère d’interdits. Grace à vous, la NRF est devenue le miroir le plus fidèle de notre temps. Elle reste une revue de pure littérature (sans verser dans la vulgarité de l’encyclopédisme) ; mais elle comprend l’esprit littéraire comme le rejet de tout ordre établi, comme la volonté de tout juger du point de vue de l’intériorité, en l’absence de tout dogmatisme, dans une relation vivante avec la vie de l’individu. L'ancienne NRF était une sorte de renchérie, atteinte de célimenisme esthétique où se raréfiait la sève de la tradition moraliste française. Le vif du drame d’aujourd’hui, elle s’en évadait pour raffiner sur des réquisitions anémiques. Maintenant la NRF joue avec virilité un rôle essentiel celui d’encourager les plus hardies conquêtes et de les consolider par l’opération d’un analyse séculairement éprouvé. N'ayez point de doute. Depuis plus d’une année, il n’est pas un n° de la NRF qui ne nous ait apporté quelque chose d’essentiel, quelque chose répondant directement aux interrogations de notre désespoir ou de notre besoin de rédemption. Et je sens, en chaque fascicule, la présence de votre esprit si ouvert, si libre, universel, incorruptible, je sens vos préoccupations, votre inépuisable curiosité, votre besoin d’aller jusqu’à l’endroit où une facette de vérité fait signe enfin à notre esprit à travers les mots, les formes & le néant de l’accidentel.

Tous nos vœux, toutes nos amitiés. Je suis fidèlement votre

GB

Vous allez voir George Schehadé ! Sa pureté vous amusera et vous charmera.