Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre de Gabriel Bounoure à Jean Paulhan, 1931 Bounoure, Gabriel (1886-1969) 1931 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1931 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
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Lesconil, par Pont L'Abbé

Finistère

[31] Bien cher ami

J'ai reçu votre petite carte de Port-Cros qui m’a apporté la vue de vos palmiers sur ma palud déserte. La Méditerranée est à mes yeux maintenant un monde lointain & dont je suis très détaché. Ici, où Pytheas est à peine venu, je me fais une patrie d’un jour. Le vieux Korrigan, Max Jacob, est venu me voir. Je vis parmi les marins les plus rudes de l’Occident : ils m’acceptent à cause de mon fils devenu l’un des leurs. Je vais rechercher, perdus derrière les tertres chevelus, faisant pousser des pommes de terre dans un sol de sables & de goémon, hérissé de menhirs, quelques vieux camarades de guerre coiffés du chapeau bigouden. En France je me sens étranger partout, mais ici, je suis chez moi. Un Oriental ne peut se faire qu’à cet Extrême-Occident.

Je m’adresse à vous dans un grand embarras. J'ai besoin d’un collaborateur en Syrie et depuis deux mois cherche vainement un homme. Auriez vous connaissance de quelque jeune agrégé (lettres, histoire ou philosophie) qui se sentirait appelé par l’Orient. L'année prochaine, ma résidence habituelle ne sera plus Beyrouth. Le Haut commissaire veut que je m’installe à Damas, théâtre d’une action infiniment plus importante que celle que nous menons depuis des années au Liban. J'aurai donc besoin d’un collaborateur qui résidera à Beyrouth et dirigera le service que j’administrais jusqu’ici directement. Il travaillera sous mon autorité et je viendrai à Beyrouth pour toutes les affaires importantes. Ces fonctions ne comportent donc aucune difficulté réelle et peuvent plaire à un jeune homme qui aurait le goût de voir d’autres hommes et d’autres horizons. Elles ne manqueront ni d’avantages ni d’agrément. Malgré cela je n’ai pas pu décider deux jeunes gens, intelligents & pleins de dons, à quitter pour l’Orient vos tristes climats. Chacun d’eux a refusé de quitter sa vieille peau, ses habitudes. Le Haut commissaire impose, il est vrai, une condition qui rend difficile le recrutement de ce collaborateur : il veut un agrégé. Or parmi les gens qui portent ce titre & ce signe grégaire, il est très difficile de rencontrer l’homme ayant les qualités que je souhaite & que je cherche. J'ai pensé à m’adresser à vous et à vous confier mon ennui.

Je me sens malpropre à parler de Romain Jules. Je lui reconnais une intelligence vigoureuse et même une espèce de démon : de démon combinateur, mystificateur, amoureux des verres de vin blanc de l’amitié, plein d’une cordialité européenne. Mais sa poésie, réellement je ne la comprends pas. Un critique honnête dois reconnaître ses limites. Romain ne manque pas d’admirateurs parmi lesquels vous ne serez pas embarrassé pour trouver un exégète, j’espère brillant. Votre grande amitié m’excusera, j’espère

Je serai à Paris vers le 10 octobre. Vous dirais-je ma joie à l’idée de vous revoir, une joie attendue depuis quatre ans ? A bientôt donc et croyez à toute mon affection.

Bounoure

Etes vous à la NRF tous les jours ? Depuis que vous avez changé de domicile, je ne sais plus bien où vous habitez.