Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre de Gabriel Bounoure à Jean Paulhan, 1931-08-23 Bounoure, Gabriel (1886-1969) 1931-08-23 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1931-08-23 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Français
Dimanche 23 Aout 1931
Bien cher ami

Me voici à Paris, mais vous n’y êtes point et je goûte une amère solitude en cette ville où je me sens aussi étranger que le doge ou qu’un des pauvres Kabyles aimés par Massignon. Ville dont on sent partout l’âme & les fatalités, mais dont le ciel sinistre me rappelle à toute heure que j’ai été vraiment, selon le mot de Lyantey au P. de Foucault, atteint ou frappé d’orientalité. Je me suis senti un cheikh du plus lointain Islam en fuyant les foules de Vincennes (il me suffira de relire la Cérès exotique de Jules Supervielle) pour aller au Louvre revoir la Pieta d’Avignon et la maison du Pendu. Je suis allé aussi constater combien Degas reste au fond un peintre de deuxième ordre avec une vision en grande partie « littéraire ». Et je me réjouis en pensant que mardi matin je partirai pour la Bretagne où j’aurai, j’espère, de vos nouvelles (à Lesconil, par Pont L'Abbé – Finistère.)

Il y a de belles choses dans les poèmes de Fondane, mais rendues reconnaissables par le voisinage redondant de vers boueux, plâtreux et tâtonnants. Cette abondance, qu’il prend pour un trait de puissance, la manifestation d’un dynamisme whitmanien détruit tout le mystère de quelques très beaux vers. Je me suis amusé à amener un des ces poèmes à l’état de pureté : il faut barrer 26 vers sur 43 ; cette circoncision étant faite, ce qui reste est beau. Mais peut-on dire cela à l’auteur ? L’accepterait-il ?

J'ai passé plusieurs jours en Auvergne, avec la grippe. Il pleuvait ; il pleuvait sans arrêt. J'ai rencontré ce matin un médecin de Beyrouth qui rentre d’une croisière au Spitzberg où il a eu un soleil merveilleux. Je souhaite que Port Cros ait, autant que Reikyavik et Tromsoë les faveurs de Vertumne et les sourires de Baal-Mithra.

Mes vives & chères amitiés à Julio, s’il est près de vous. Croyez à ma très fidèle affection.