Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre de Gabriel Bounoure à Jean Paulhan, 1931-05-15 Bounoure, Gabriel (1886-1969) 1931-05-15 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1931-05-15 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Français
Beyrouth, 15 Mai 1931

J'ai été empêché de vous écrire, ces temps derniers mon cher ami, par des circonstances pénibles. J'ai perdu mon principal collaborateur qui était en même temps mon ami, emporté par le typhus après une longue & cruelle agonie. C'est au cours d’une mission dont je l’avais chargé qu’il a contracté ce mal dans le Djebel Druze. Si bien que je me reproche parfois à moi-même ce qui n’est imputtable qu’au hasard. J'ai vu partir un homme plein d’honneur, de courage, de générosité, de toutes les vertus viriles. J'ai de la peine à me détourner des mirages qu’il m’a laissés râlant dans un triste hôpital militaire au milieu d’un jardin trop beau, étincelant, vernis, éclatant d’hibiscus. Mais comment admettre que notre être ait quelque chose de commun avec ces apparences ignominieuses de la maladie

Tous ceux que j’admire sont frappés. Massignon vient de perdre sa mère, sa dernière lettre portait en effet la trace d’une très grave inquiétude

En revenant d’Orient, il a trouvé à Paris une besogne écrasante « J'aurais bien voulu, me dit-il, envoyer quelques chose de bien pour la NRF à votre ami Paulhan ; mais quand sera-se ? »

Le « quelque chose de bien » est charmant de sa modestie chrétienne : il y a chez lui des gentillesses d’archange entre des sévérités fulgurantes. Sa dernière lettre fait une allusion de blâme à Jouhandeau dont il plaint le désespoir, mais à ce qu'il semble difficilement pardonner d’être devenu « le pauvre époux de Caryatis avec Cocteau et Crevel comme témoins ». Qui rira si ce mariage n’est pas dû à quelque appétit de blasphémer saintement contre lui-même quels abimes jouhandesques sont la dessous ? Massignon a des droits que je n’ai pas pour jeter le blâme –  Moi je me contenterai d’aimer Jouhandeau et de le plaindre s’il est à plaindre. Evidemment Cocteau et Crevel, nouvelles Bouches d’Ivoire, sont un peu durs à avaler. Mais « il faut des bouffons pour les rois ».

Je n’ai pas eu le temps, ni le goût de vous renvoyer corrigées les épreuves que vous m’aviez fait parvenir de ma note sur Madame de Noailles. Je le regrette : je m’en accuse. J'aurais voulu ne pas prêter à V.Hugo un vers faux

Thales n’était pas loin de croire que l’onde

Je citais de mémoire et dans ma mémoire le vers commençait par une conjonction monosyllabique

Et Thalès n’était pas

ou bien

Or Thalès n’était pas

Supprimant la conjonction, j’avais dans mon manuscrit fait précéder le vers de 3 points (…) que la dactylographe n’a pas reproduits. J'ai relu mon texte dactylographié avec ma mauvaise habitude de ne pas relire les citations, les tenant pour correcte (singulière hypothèse!)

Enfin je suis désolé

Mais ça n’a pas au fond une importance énorme. Je ne sais plus d’où vient ce vers de V.Hugo et je me demande si le vrai texte ne dirait pas

Thalès n’était pas loin de croire que le vent

Et l’onde avaient crée les femmes....

Il faut savoir ses forfaits disait Nietzsche. Je voudrais surtout savoir que vous me pardonnez

Je serais très heureux de lire les livres de Frederic Paulhan dont vous me parlez, très heureux et très impatient. Je n’ai ni les [il manque la fin de la lettre]