Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre de Gabriel Bounoure à Jean Paulhan, 1931 Bounoure, Gabriel (1886-1969) 1931 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1931 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
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[1931] Dimanche des Rameaux

Avec discrétion et respect, très cher ami, je voudrais vous dire la part que j’ai prise à votre deuil et la fidèle compassion qui a répondu en moi à votre douleur. Ce fait indicible qui passe toute vérité et qui n’offre rien à la prise de notre intelligence n’est jamais plus cruel que quand la relation de la chair s’est doublée du lien spirituel. Vous me dites que votre père était aussi votre ami. Je ne sais rien de plus rare & de plus noble qu’une telle affection où l’estime virile, la tendresse grave, la plus délicate pudeur semblent accomplir ce que la nature a de plus profond et de plus mystérieux. J'aime qu’entre Frederic & Jean Paulhan ait régné ce commerce où la vie & le cœur réchauffent la plus haute vertu de l’esprit. Mais d’abord qui mieux que lui vous aurait compris, dans vos analyses si vivantes, portant toujours sur le concret et l’esprit au travail ? Et lui, le philosophe qui a dénoncé les mensonges de la pensée & de l’action avec une pénétration sans défaut & une probité incorruptible, nul autre mieux que son fils ne pouvait comprendre la force & la rigueur de son esprit. Frederic Paulhan est à mes yeux l’héritier de ces moralistes qui sont la gloire de notre pays, Montaigne, La Rochefoucauld, ces maitres qu’un Nietzsche n’a pu trouver dans aucune autre littérature. Voyez un homme comme Freud, observateur génial, mais tout de suite il verse dans la mythologie. Frederic Paulhan est étonnant par sa rigueur à refuser les formules qui dispensent de penser, qui permettent de diminuer la densité de l’analyse. Son dernier livre, les Puissances de l’abstraction me paraît un maître livre de la psychologie française autant par la fécondité de l’idée centrale que par le nuancement dans l’étude des combinaisons & des types. Pour moi, il n’est rien qui n’ait donné plus à penser que les dernières pages de ce livre ; mais autant elles ont de force suggestive, autant elles ont de discrétion de volontaire et hautaine retenue. A côté de cette description & de cette explication de l’esprit, les « schèmes dynamiques » de Bergson semblent une machinerie à effet grossier, une métaphore pour cours publics. En Bergson, il me semble que l’esprit du conférencier a plus d’une fois gâté le philosophe

Le commerce affectueux où vous étiez avec votre père reposait, il me semble, sur un accord des intelligences, sur une disposition semblable de ses éléments qui composent l’organisme de l’esprit. Vous avez perdu en une personne ce que plusieurs ne suffisent pas à vous donner. Je crois mesurer votre solitude et le mur qui bouche toute une ouverture de votre cœur & de votre âme. Croyez à ma vive & douloureuse affection.

Bounoure

Vous avez « fait une âme moins triste », Georges Schehadé ! Il doutait, il était malheureux. Maintenant il exulte, il vous est très reconnaissant, il va vous écrire.