Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre de Gabriel Bounoure à Jean Paulhan, 1930-10-24 Bounoure, Gabriel (1886-1969) 1930-10-24 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1930-10-24 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Français
Beyrouth, 24 octobre 1930 Bien cher ami

Je vous suis très reconnaissant de m’avoir envoyé cette belle étude sur les Haïn teny, poësie obscure. Une élégance blanche, cristaux de neige. J'ai admiré une fois de plus votre merveilleuse pénétration et ce talent subtil de réserver ce qui est judicatoire & ce qui est concret dans la poésie. La poësie ressemble à ces bandes de bédouins pillards qui jouent sur l’indécision de la frontière désertique entre la Transjordanie et la Syrie, – devenant citoyens d’outre-Jourdain quand le gendarme français va les appréhender, se muant en syriens quand les autorités d’Aman leur demandent des comptes. La poésie se joue ainsi sur les frontières de deux royaumes que nous appellerons faute de meilleurs mots la nature & l’esprit. C'est pourquoi il est si difficile de dire un peu ce qu’elle est : on croit la fixer d’un côté et on l’aperçoit qui vous nargue ayant pied dans un autre monde. Mais comme toutes vos analyses, celle ci fait date et marque une acquisition pour toujours. J'attends avec une vive impatience la suite que vous nous promettez, charmeur de serpents, charmeur d’oiseau. L’infâme Bremond, comme dit mon janséniste de Thiers (avec, il me semble, trop de douceur) ne comprendra jamais que « l’infini » se présente quotidiennement dans les procédés les plus courants de l’intelligence. Il est d’une nigauderie très jésuite.

Voici sous ce pli la poësie obscure du plus jeune poëte de la vieille Asie. Je veux croire que ces poëmes vous plairont et qu’ils plairont à notre cher Julio. Il me semble qu’en les publiant vous ne donnerez pas seulement le meilleur encouragement à un jeune homme qui travaille ici dans le plus grand isolement et loin de toute approbation, mais vous ferez connaître au public français ses vers dont l’essence est très mystérieusement captivante. C'est une poésie qui est intelligente comme une mort douce, cette mort fleurie du pays d’Adonis. Je souhaite que vous aimiez comme moi

Les amants, les colombes qui se dégagent

ou bien

Je m’endormirai volontiers jeune femme.

Deux photographies vous feront voir cet enfant sacré sur les balcons de Paola Scala, villégiature chimérique du Mont Liban.

Tous mes vœux pour vous & les vôtres. Croyez à ma très fidèle affection.

G.

J'écris à Julio, de qui j’ai reçu des contes très beaux.