Votre lettre m’a fait grand plaisir, m’a fait grand bien. C'est l’été surtout que l’on ressent ici ce qu’il y a de désertique, d’oppressant dans cette Asie collective, millénaire, continent de l’anonymat, qui a réussi à faire rentrer dans le repos le devoir même de la connaissance. Parfois je souhaite me perdre dans cette indifférence : je la sens qui m’envahit par en bas comme un brouillard les fonds de vallée. Cependant la désolation et l’aridité font étinceler ses sommets qui refusent se s’éteindre. Le fakirisme d’un occidental ne sera jamais complet
Hélas, je n’irai pas en France cette année. J'ai beaucoup de travail et du plus obscur. Heureusement, le petit Schehadé pousse avec moi cette meule, jeune marié de la Poësie, toujours au matin des Noces les plus charmantes & les plus mystérieuses. Sachez qu’à mes ordinaires supplices, on a ajouté la tâche ingrate de « préparer l’Exposition de 1931 ». Cette exposition devant avoir un caractère « historique, ethnologique et sociologique » (!?), il a été admis que c’était sur moi que devait retomber ce faire. Me voilà donc ethnologue, sociologue, moi qui ne suis rien et surtout pas ça. Voyez moi embarqué dans le recensement des costumes, des « objets de chasse, de pêche, des techniques locales », des objets liturgiques etc... Plaignez moi. Les effarés qui sont dans les administrations & les comités refusent de se prêter à la recherche de ces documents propres, disent-ils, à les humilier, à les faire passer pour des sauvages, des polynésiens. Ajoutons que nul ne s’est jamais occupé d’ethnologie syrienne. C'est terra incognita. Alors on s’avance dans la nuit, en se confiant aux lumières tremblotantes promenées par une jeune fille « spécialiste du costume » et par les officiers des « services des Renseignements ». Un seul parti à prendre et que j’ai pris : accepter la situation avec légèreté et réunir un bric à brac qui sera bien assez beau & bon
Il y a bien longtemps que je voulais vous remercier de m’avoir fait don du Guerrier Appliqué. Par un tour singulier, il m’arrive d’être le plus silencieux sur ce que je goûte et j’admire le mieux. J'ai aimé peu de livre comme ce livre d’une Politesse parfaite, racée, asiatique. Il est austère et pur, grave et transparent, d’une élévation et d’une pudeur bien rare. Parmi ce peuple de ma bibliothèque, je le range parmi les princes. Il vous ressemble enfin, qui donnez, je me rappelle, l’impression d’une force grande & sûre soumise à une
Personne n’a parlé de la guerre comme vous, d’un ton aussi libre, avec un naturel qui est au niveau de tout événement et qui tient à une certitude que le fait le plus panique trouvera en vous une réponse d’intelligence & de spiritualité. Ici pas la moindre nuance d’emphase, pas le moindre asservissement à ses grands mots, à des devoirs, à des généralités. Voila sur la guerre le livre de l’homme libre. Celui d’Alain – qui est beau,- a l’accent politique & le ton de l’homme social. Alain est libre des Pouvoirs, sans doute, mais il n’en est pas si libre puisqu’il y croit. Ce n’est pas Jean
Michaux n’est point venu en nos parages, ou, s’il passa par la Syrie, resta un voyageur inconnu. J'aime beaucoup
Il est entendu que quand les poëmes de Morvan le Gaëlique auront paru, je reprendrai mon étude sur Max Jacob, qui a des parties faibles, ne dit pas l’essentiel et devra rendre compte de ce nouveau recueil. Je vous serais bien reconnaissant de me renvoyer mon texte, car je n’ai plus ici aucune trace de cet essai : je me souviens seulement qu’il
Je n’ai pas reçu Corps & Biens. Vous seriez bien aimable de me le faire envoyer. Je pourrai ainsi compléter les pages déjà écrites sur la Liberté ou l’Amour.
J'ai deux Claudel, qui dorment dans la poussière et la chaleur. Je vais les épousseter et vous les envoyer.
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Mon fils est dans le Finistère : il fait comme mousse de la pêche côtière et hauturière, sur un sardinier qui s’appelle le Parbleu, et sur un langoustier qui s’appelle l’Aventurier. Il vient de m’envoyer un recueil de poëmes qu’il m’a dédié. Il aime la descendante d’un corsaire malouin, qui est la petite fille d’un grand critique du 19e siècle. Lui manque-t-il une seule des conditions du bonheur ? Le malheur, il sait en inventer juste ce qu’il faut pour la poësie. Il est vrai que le baccalauréat grandit à l’horizon...
Je vous souhaite de bonnes vacances. Je vous approuve de fuir la Méditerranée, cette mer humaine, trop humaine. Croyez à ma très fidèle & très vive affection.
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Je vous envoie un poème de George Shehadé. Je suis heureux que vous ayez été sensible aux mérites de Rodogune Sinne. Mais les Orientaux ne veulent pas admettre que l’art est long...