Bien cher ami. Votre radio m’est une occasion de m’adresser de cruels reproches pour ma négligence, pour un silence qui n’était pas oubli mais en prenait l’apparence. Cependant vous n’avez jamais été plus près de ma pensée, dans un chaos où je me suis mis un jour, comme coupé de mon existence, séparé de ma vitalité que je voyais du haut d’une douleur purifiée. J'ai lu le Pont Traversé, que je ne connaissais pas, admirant avec quelle souplesse, quelle aisance simple vous saviez approcher de l’indicible, poser doucement la main dessus : on sent une chaleur de plume, d’oiseau et puis plus rien. Il y a là un exemple souverain pour dissiper terreur et désespoir sans altérer la merveille. Quelle essence une seconde
Je voudrais bien que vous donniez une page ou deux de moi sur Max Jacob. Vous devez avoir une étude, dont je ne puis retrouver ici aucun exemplaire. Je me souviens qu’elle est pleine des lieux communs habituels sur Max : je voudrais faire disparaître ces vulgarités et dire comment la sensibilité en Max a muri lentement dans le Zohar l’allégorisme des émanatistes orientaux, revécus par ce cerveau perpétuellement recentré, en proie à la folie des paronomases mystiques. Vous seriez bien aimable de me renvoyer cette étude pour que je la remanie profondément.
Entendu pour Desnos : cela me va d’autant mieux que j’ai lu plusieurs fois les vers de sa main très supérieurs à son roman épique et obscène.
Je vous remercie bien vivement pour m’avoir fait envoyer les épreuves de Claudel : le Soulier de Satin : mais il me manque la deuxième journée : on m’a, par erreur, envoyé deux fois la quatrième. - Je me permets de vous demander quelques livres qui me manquent.
Recevez, bien cher ami, avec tous mes vœux, les assurances de ma reconnaissante et fidèle affection.
J'ai appris avec une vive peine la mort d’André Gaillard