18, rue Conchette
Thiers (Puy de Dôme)
25 Septembre 1929 Bien cher ami
Assez extraordinaire cet événement d’avant hier. Vous savez (je vous l’avais dit) que j’étais depuis peut être plus de quinze mois sans nouvelles de Jouhandeau. Un silence opaque comme ces lames de plomb que ne traversent pas les rayons de radium. Maintenant vous me voyez dans une vieille maison du 17e siècle, en pierre noire, au fond d’une cour, où un magistrat janséniste jadis fit barbouiller sur les trumeaux l’image de Vénus ou le triomphe d’Amphitrite. Cinq heure du soir, un soir provincial, assez bourru, d’une sorte de désespoir morose et contenu. On sonne à ma porte. On vient m’annoncer « un grand jeune homme de Guéret ». Je vais à la rencontre de ce visiteur. C'est Jouhandeau. Un Jouhandeau souriant, un air dégagé, affecté. « Vous avez appris mon mariage ? Oui - » Cette chambre était froide et sombre comme la charmille de Port Royal. Nous l’avons quittée pour aller voir dans son auto Madame Jouhandeau et sa mère. Madame Jouhandeau à un air démoniaque et flétri, un air Tintinnabula. Nous sommes allés ensemble par les rues de ma ville qui est une Tolède farouche et sans gloire. Jouhandeau m’a paru imperceptiblement banalisé par son mariage : un air assez touriste, assez touriste en auto, une façon satisfaisante d’admirer le pittoresque, une manière dégagée de réussir à être naturel. Comme si tout Jouhandeau n’était pas dans l’Anti nature. Il n’a été lui même que dans cette façon de venir me trouver, après tant de silence, au fond d’une maison austère, bâtie par quelque ami de Dornat ou de Arnaud.
J'ai quitté ces plages lumineuses de Lesconil. J'ai traversé Paris, où je ne me suis occupé que d’administration, de budgets ; où j’ai rapporté la grippe la plus incommode et la plus tenace. L'Auvergne est une terre qui dérive vers le midi pour trois mois, mais qui en septembre remonte vers le nord, vers la Souabe et la Franconie. Les Syriens comme moi souffrent beaucoup du déplacement de cette province sur la grille des coordonnées.
Je suis tout à fait emballé par Pierre Jean Jouve. Merci mille fois, cher ami de m’avoir fait envoyer Hecate et le Paradis Perdu. Et mille fois encore merci pour tous les beaux livres que j’ai reçus grâce à vous.
J'irai à Paris en octobre. Y serez-vous. Croyez à mes sentiments de vive & fidèle amitié !
Que pensez vous de Georges Schehadé ?
Bounoure