Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre de Gabriel Bounoure à Jean Paulhan, 1929-03-25 Bounoure, Gabriel (1886-1969) 1929-03-25 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1929-03-25 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Français
Beyrouth, 25 mars [1929]

J'admire en vérité, cher ami, qu’il ait pu vous venir un doute sur la valeur de votre admirable étude. L'on vous fait beaucoup de reproches, dites-vous. Supportez les sans trouble. Sachez que rien n’est plus pénétrant, ni plus fort, ni plus juste que ces pages d’une élégance supérieure et d’une lumière souveraine. Je voudrais les avoir écrites et vous le dis naïvement, tant il s’y mêle de finesse à la vigueur la plus virile. Au prix de cette analyse, je m’accuse de voir combien l’homme de « l’infatigable esprit » paraît soudain fatigué, un Narcisse un peu fourbu. Si Valery s’est irrité de votre analyse, il fait montre d’un petit esprit et d’une grande vanité. A vrai dire, comment l’homme qui se croyait le seul à si bien connaître son fonctionnement, accepterait-il de voir son mécanisme démonté d’une façon si simplement victorieuse. Il est vexé de n’avoir pas aperçu la petite vis, la franche coudée qui mouvait à son insu cette réflexion si jalouse de sa pureté. Il ne se voyait pas se voir si bien qu’il le disait !

Je me sentis connu encore plus que blessé Et c’est bien la pire des blessures quand on se croit un poseur d’engins préservé pour toujours de s’engréguer soi-même

J'attendais avec impatience la fin de votre étude. Je puis vous dire qu’aucune lecture depuis longtemps ne m’avait autant excité. Il y va de tout l’art d’écrire ! Dans cette jointure si étroite du langage et de la pensée vous avez apporté des restrictions que je crois définitives et nul ne pourra dans l’avenir réfléchir sur le travail de l’écrivain sans se référer à une étude aussi lumineuse. C'est d’ailleurs une vraie jouissance de l’esprit que de voir vos sinuosités si tacticiennes préparer des coups droits décisifs. Massignon disait peut être que c’est à cause de votre stage dans les langues polynésiennes que votre rigueur invincible avant de se décrocher s’enveloppe de ces préparations insinuantes et circulaires. Je dis cela cum grano salis, mais je ne suis pas si éloigné de le croire. En tout cas j’admire le grand art de votre démonstration : elle était très difficile à conduire : il s’agissait de ne pas se perdre dans ce jeu de reflets et d’être attentif à saisir la main qui plaçait les fallacieux miroirs. Sur le fond, je suis tout à fait d’accord avec vous. Voici redites a quia ses analyses qui traduisent à merveille l’expérience d’un homme dont la pente est de glisser au monisme de la réflexion pure où « tout génie est consumé ». Mais contre lui vous avez établi sans réplique qu’il y a les écrivains de la « saveur secrète » et de « la sève centrale », sans parler de ceux qui au suprême sommet monistique de la réflexion ont éprouvé «  la vivification instantanée et transcendante du sujet. » Toutes ces expressions viennent de Al Hallahj de Massignon « Non, tout le monde ne sait pas qu’un homme n’a rien à nous apprendre sur lui-même. Plus d’un, et parmi les meilleurs, sait tout le contraire. »

Puissiez vous venir un jour en Syrie, pour oublier pendant quelques semaines les auteurs, leurs manuscrits, la monotonie des invectives surréalistes. Nous irons dans le désert avec Julio et le nom même de M.Joë Bousquet sortirait de nos mémoires – ce qu’il n’aurait aucune peine à faire.

Toutes les anémones d’Adonis éclatent sous les oliviers en ce moment : cette jeunesse de l’année, si fugitive en Syrie, est séduisante et consumante. Venez.

Croyez à l’amitié très admirative de votre

G.B.

[En bas à gauche] Le poème d’Hoppenot est, de fait, contourné, long et abstrait. Mais ne lui soyez pas trop sévère : il y a une inquiétude poussiéreuse, une angoisse fanée qui ont leur prix.

-Je vous ai envoyé un article sur Fargue – et deux notules sur je ne sais plus plus qui. – le Chabaneix a du se perdre, car je n’ai rien reçu.