Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre de Gabriel Bounoure à Jean Paulhan, 1929-02-27 Bounoure, Gabriel (1886-1969) 1929-02-27 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1929-02-27 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
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Beyrouth, 27 février [29] Cher ami,

Voici quelques pages sur Fargue où j’ai essayé de définir l’essentiel de sa nature poétique. C'est l’idée que le choix est fait dès l’enfance : le vouloir en descend, les désirs y remontent. Fargue prolonge et sauvegarde plutôt qu’il n’innove Nous sommes tous ainsi, mais perdus et sans le savoir. Fargue le sait. Il a décidé de ne point sortir d’une sorte de Paradis d’Andersen où il fait rire les fées. Et c’est très beau. Mais je l’ai dit très mal, - toutefois dans les limites que vous m’aviez assignées, seul mérite de cet essai que je me hâte de vous envoyer pour ne plus le voir

Saviez vous que la Syrie fourmille d’écrivains. A Damas c’est Henri Petit qui se console par la lecture de Saint Bernard du refus qui a été opposé partout à un « Descartes & Pascal » venu sans doute un jour sous vos yeux. Oeuvre manquée où l’auteur tente de rendre la pensée de Pascal et celle de Descartes indistinctes l’une de l’autre en les absorbant toutes les deux dans une sorte de pathétique vague. J'ai dit à Petit qu’il me paraissait beaucoup plus intéressant de marquer en quoi ces deux hommes étaient inconciliables. Mais Petit est persuadé que son intention maitresse a été méconnue et il s’hypnotise sur cet essai qu’il devait considérer comme un simple exercice. De là, chez lui beaucoup d’amertume. A Beyrouth, nous avons un jeune romancier, l’auteur de la Vie selon la chair, roman érotique ainsi jugé par un journal libanais : « beaucoup de chair et très peu de vie ». Nous avons enfin un capitaine de corvette, qui n’obtenant point son cinquième galon éprouve le besoin d’obtenir des assurances formelles sur son génie littéraire et vient de convoquer tout ce que Beyrouth compte de fins lettrés d’avant-garde pour une lecture publique : « Un poème dramatique... avec des intégrales, des femmes nues... on pleurera comme à la tragédie grecque !. »

Quand je pense que vous me croyez en train de manger des sauterelles, avec des nègres, sous des cocotiers.

Croyez à mes sentiments d’amitié fidèle & reconnaissante.

Bounoure