Me voici bien en retard pour vous écrire, pour vous remercier. J'ai reçu votre belle étude, – si dense et d’une discrétion hautaine et subtile, - au moment où je partais pour Damas. Non point pour mon plaisir, helas, mais m’enfoncer dans des broussailles budgétaires, me plonger dans les comptes de l’Université syrienne. Qui penserait qu’en Orient, dans la ville des Oummayades, où l’on imagine toutes les soirées consacrées à la poésie & à la volupté, je comparais des recettes et des dépenses, comme Napoléon en Italie (ce rapprochement ne vaut que pour un point!) lisait le soir des états d’effectifs. Vous me plaignez, vous m’excusez. J'ai réservé pour mon retour à
Votre idée me semble très juste et très féconde. Est-il rien de plus bête et de plus agaçant que cette accusation de rhétorique lancée d’habitude aux écrivains les plus vrais & les plus sensibles, aux artistes les plus [mot illisible] (car cela existe) par des professeurs qui ne conçoivent d’autre vérité que pédagogique, c’est à dire qui sont enfoncés dans les plus sottes conventions. Dans le cas le plus favorable, le critique (décidément quel bouffon personnage qu’un critique) est l’homme qui rapporte tout à sa vérité
Pour moi, je crois que tout acte positif de création littéraire est un acte synthétique où la pulchritudo vaga résultant des combinaison de mots et de rythmes se mêlent toujours se mêle toujours à la pulchritudo adhaerens résultant de la fidélité du rendu. Pardonnez moi ces termes un peu pédantesque, mais commodes et qui vont vite. Or le critique est le plus souvent un pur analyse, s’attachant à juger la pulchritudo adhaerens, parce que l’autre échappe à ses grosses pattes et par un grossier présupposé d’absolu et de réalisme. Et puis le critique est celui qui regarde l’oeuvre en renversant la lunette. L'artiste et lui ne peuvent jamais s’entendre
Je soupçonne aussi que la vraie définition du critique est la suivante : le critique est l’homme qui ne lit pas, persuadé qu’il n’a pas besoin de lire pour juger. Et ne lisant pas il s’arroge à
On m’objectera le critique qui ne juge pas mais s’efforce seulement de comprendre (Non ridere…sed intelligere). Mais celui là n’est pas plus intelligent que l’autre : sous prétexte de mettre l’oeuvre dans sa lumière, dans son encadrement, il dissipe toute l’intériorité de l’oeuvre en facteurs extérieurs : la race, le milieu, le moment. La sociologie. Toutes les valeurs et les puissances individuelles se résorbent en extérieur.
Vous avez une distinction d’une rare finesse quand vous montrez qu’on peut entendre un livre tantôt comme langage, tantôt comme pensée. Il est vrai qu’en un sens le discours exclut la pensée et la pensée exclut le discours ; mais ce sont là ses limites : l’art est également éloigné de l’automatisme verbal et de la pensée sans signes. Cette distinction toutefois est presque inévittable parce que de la pensée d’un artiste, nous voyons d’abord des signes et beaucoup de lecteurs ne vont pas plus loin. Le grand écrivain est celui précisément qui sait empêcher son lecteur de faire cette coupure et son vrai critique est l’homme qui comprend la langue d’artiste comme pensée. L'écrivain de génie est tel que l’on ne peut penser sa pensée qu’avec les mots dont il s’est servi et auxquels il a su donner une abondance de signification inépuisable. Sa pensée, loin des signes qui la manifestent se perd comme une ombre et devient la pensée de tout le monde. Alors le critique triomphe. Aussi par cette distinction on peut réduire les plus grands à la pure apparence, c’est à dire à la rhétorique. Montaigne est un rhéteur pour Marphurius, Pascal est un rhéteur pour Diafoirus, Stendhal est un rhéteur
La vérité et la beauté des œuvres me sont pas choses faites, mais toujours à faire. Le critique fait enfuir toutes les idées et toutes les vérités sublimes ou délicates. Il est vrai cependant qu’il y a une vérité et une fausseté du langage. Il est vrai qu’il y a des signes derrière lesquels il n’est point de pensée mais la critique se figure que cette fausseté est un absolu : comme le dit
Excusez moi d’être si bavard : mais votre étude m’a entrainé dans ses réflexions sans fin. Je la trouve très forte et très belle. Je me donne le plaisir de relire le « Défaut » rien
J'attends avec impatience la suite que vous nous promettez.
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Je suis très heureux que vous ayez gouté les pages que j’ai consacrées au Japon, dans l’oeuvre de Suarès. Je consens volontiers à quelques coupures, ayant eu l’impression qu’il y avait ça et là quelques vérités ; mais
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Plus je lis Fargue, plus j’admire cette sensibilité merveilleuse. C'est le don des dons et le suprêmes cadeau des Muses. C'est par cette sensibilité qu’il est tout ce qu’il est, qu’il est intelligent, imaginatif, artiste : c’est le fonctionnement de ces seuls organes de son sensorium.
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Excusez cette longue lettre, très désordonnée j’en ai peur & que je redoute de relire. Vous avez passé de belles vacances, parmi la flore uraguayenne de Port. Cros, admirant les geckos et les caméléons. Pendant l’été Syrien tout disparaît sous une poussière intense, la
Je songe à votre sérénade relative à Eluard. Savez vous que je ne suis aucunement en correspondance avec le poete de Dessous d’une Vie. Pensez-vous que je puisse lui écrire pour lui demander ce que vous souhaitez. Il doit trouver, j’imagine, que j’ai savouré beaucoup trop près de la surface, une poésie issue du plus profond de l’Existence. Mais si vous estimez que ma demande a chance d’être accueillie, je lui écrirai bien volontiers. Il va sans dire que rien dans ma lettre ne lui donnerait à présumer que vous avez formé ce vœu.
Répondez moi la dessus .
Croyez, cher ami, à mes très fidèles amitiés et acceptez mes bien vifs remerciements.
Je vous envoie une note sur Hoppenot. Envoyez moi ses épreuves : j’aurais il me semble en la relisant, plusieurs retouches à faire.