Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre de Gabriel Bounoure à Jean Paulhan, 1928-07-26 Bounoure, Gabriel (1886-1969) 1928-07-26 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1928-07-26 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
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Beyrouth, 26 juillet [28] Cher ami

Je vous envoie une note sur la poésie haïtienne. Je m’accuse de répondre à votre amitié, si aimable et pleine de bons offices, par une négligence impardonnable. Il faut me plaindre. Outre mes ordinaires besognes, me voici chargé, pendant la canicule du soin de diriger « les Affaires Economiques ». Je me débats parmi la hausses des blés , la dénaturation de huiles, l’exportation des bovins, les maladies de l’oranger, les lignes aériennes France-Syrie, le traité commercial avec l’Egypte, les franchises douanières etc – J'en passe. Heureux Claudel dont l’abondant génie peut sans effort écrire La Messe la bas et acheter une flotte au gouvernement brésilien Jamais je n’ai tant admiré l’auteur de Tête d’Or.

Je croyais que votre jugement sur Benjamin Péret était d’une excessive dureté. Mais non ! C'est une lourde et inconsciente parodie des poèmes de son école avec quelques grossièretés massives. Il est certain que réduire la poésie au pur comportement verbal conduit à l’idiotie réelle. C'est fait.

Etes vous bien sur, me dites vous, de ce que vous avancez sur Vitrac ! Mais, non, évidemment. La sécheresse de Vitrac ne m’a pas échappé. Demain dira si elle est stérilité ! Toutefois pour parler des jeunes poètes, j’estime qu’il faut être très généreux, leur prêter même ce qu’ils n’ont pas, leur attribuer largement le bénéfice du doute. Il ne faut être sévère que lorsqu’il il y a offense manifeste à la Muse et que le rimeur est une plate canaille comme disait Stendhal. Moins cette largesse à la fois systématique et naturelle, le critique se rend odieux, ne pensez-vous pas. Les jeunes poètes, il faut les peindre tels qu’ils sont, mais surtout tels qu’ils devraient être, qu’ils pourront être, qu’ils seront. Je peins leurs possibilités, leur limite idéale. Tant pis pour eux s’ils ne remplissent pas leur idée et mentent à leur type. Il se peut que Vitrac ne soit qu’intelligent et habile, comme tout le monde aujourd’hui. Tout le monde est intelligent et habile, l’avez vous remarqué ?

Aviez vous reçu une note sur Gustave Roud ? Il y a dans son petit livre, un accent bien frappant.

Laissez croire que je suis l’abbé Bremond si l’on veut, encore que cette hypothèse m’agace. Mais rien ne me plait autant que cette identité secrète. Conservez ces ombres sur ma personne.

A vous, avec fidélité & reconnaissance

G. Bounoure