Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre de Gabriel Bounoure à Jean Paulhan, 1928-03-10 Bounoure, Gabriel (1886-1969) 1928-03-10 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1928-03-10 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
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Beyrouth, 10 mars [28]

Ne soyez pas embarrassé, cher ami, au sujet des pages que je vous ai envoyées sur Max le Gaëllique. Vous les publierez quand vous jugerez le moment venu : je suis très sensible à l’amical scrupule que vous éprouviez. J'ignorais que Jean Cassou dit parler prochainement de notre cher missionnaire. J'admire la pénétration et le grand talent de M.Cassou & je suis bien sûr que Max et les lecteurs seront plus contents d’avoir son étude sous la dent, plutôt que mon petit écrit. Au reste, croyez bien que, sans affectation, je n’attribue à ces notes que le mérite qu’elles ont, et non un autre : ce mérite n’est que de bonne volonté, c’est le désir de bien servir cette belle forme puissante du langage qui est Poesie. Le rôle de critique – et surtout de critique des poètes, - devient vite ridicule ou odieux, s’il n’est pas racheté par un constant retour d’humilité. Ce que vous me dites de la blessure éprouvée par Jean Cocteau me toucherait beaucoup, si vraiment je pouvais y voir autre chose qu’une simulation, une coquetterie. Comédie d’enfant gâté. Mais quel marque d’orgueil. Quelle absence de force vraie. Cet Opéra finit en opérette.

Cependant je me dis, selon le mot de Pascal, qu’on ne fait jamais les gens assez complexes. J'admire peut être beaucoup plus Cocteau que tels de ceux qui en sont sont jaloux & le craignent et n’osent pas dire ses défauts. Cocteau est si intelligent qu’il est très capable un jour d’avoir par l’intelligence l’équivalent de cette puissance enflammée et magnifique qui se trouve en tout vrai poète. On verra bien. Mais qu’il est difficile de parler d’un homme que l’éternité n’a pas encore changé en lui même. Je me reproche un peu d’avoir rudoyé Guy Charles Cros : mais le moyen de faire autrement. Son livre est un outrage à l’Amour. Or Amour est le Dieu des Dieux et, comme dit Al Halladj, l’Essence de l’Essence

Vous m’offrez avec une gentillesse exquise vos bons offices si quelque livre me tente. Je vous serais très reconnaissant si vous pouviez user de votre influence pour me faire avoir un exemplaire de la Visite au Musicien. J'ai commandé ce livre à mon libraire de Beyrouth dès qu’il a été annoncé par la NRF, c’est à dire il y a plus d’un an. Je pense que l’indolence syrienne, malgré plusieurs vives réclamations, l’a empêché de faire la commande à temps. Je serais très heureux que l’ouvrage me fut envoyé soit contre facture soit contre remboursement (la poste libanaise admet ce genre d’envoi). Excusez moi d’user d’une telle indiscrétion. J'ai un furieux appétit de ce livre. Alain est un grand homme dont on ne peut se passer dans un exil en Phénicie.

J'ai trouvé Roud très émouvant. Kafka est très beau. Ramon Fernandez a dit le mot décisif, avec sa maitrise habituelle, sur la Trahison des Clercs

Croyez à ma très vive amitié

Bounoure