Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre de Jean Cassou à Jean Paulhan, 1930-10-03 Cassou, Jean (1897-1986) 1930-10-03 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1930-10-03 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
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MINISTÈRE

DE

L'INSTRUCTION PUBLIQUE

ET DES BEAUX-ARTS

Direction

de l'Enseignement

BUREAU

3. X. 30

Paris, le ..... 192

Mon cher ami, j’ai repensé à notre conversation d’hier. Sans doute avez-vous raison: je confesse que je ne suis pas dialecticien. Devant vous qui l’êtes furieusement je me sens désarmé; et dans l’admiration que j’ai pour ce que vous écrivez entre le sentiment que c’est bien là la dernière chose que je serais capable d’écrire. Je comprends que vous goûtiez Benda; et la NRF actuelle est elle me paraît surtout une revue de dialecticiens.

Je ne peux prétendre qu’au titre de poète et d’esthéticien. (C'est la même chose: ces 2 activit formes d’activité ont pour base l’intuition pure.) J'ai les plus grandes peines du monde à reproduire le schéma d’un livre, à en restituer le "sujet", le contenu. Mais je crois que je suis fait pour en donner la couleur, la température, l’atmosphère, ce que vous appelez l’émotion (un peu dédaigneusement). Pour rattacher les formes entre elles selon des courants secrets et des rapprochements qui paraissent arbitraires ou gratuits à ceux qui voient les choses d’une façon plus mécanique et plus rationnelle.

Je ne dis pas que ma critique soit plus valable que celle qui s’attache à cerner de plus près la valeur des idées & des sentiments exprimés dans tel livre. Mais je crois qu’elle a aussi son intérêt et qu’elle est plus rare. Je comprends très bien qu’on ne l’apprécie pas actuellement, car elle est peu pratique et ne s’applique mal aux choses. Je crois tout de même qu’elle n’est pas superficielle, [deux mots barrés illisibles] ni trompeuse. Ce n’est pas ma faute si les phénomènes de l’art et de la poésie font appel à des émotions. Ces émotions, en les comparant, en les définissant, je les classe et les juge. Donc je fais à leur propos oeuvre critique. Mais je n’imagine pas comment je pourrais les réduire à des raisonnements. Surtout, alors que je suis moi-même tellement à l’intérieur d’elles-mêmes, tellement engagé avec elles.

Je voudrais beaucoup que vous me précisiez votre sentiment sur tout cela.

Votre ami

JC

Rappelez-moi au bon souvenir de votre femme et donnez-moi de ses nouvelles, je vous prie.