Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre de Marie-Anne Comnène à Jean Paulhan, 1957-02-07 Comnène, Marie-Anne (1887-1978) 1957-02-07 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1957-02-07 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
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Paris, le 7 février 57

Cher ami

Après les lettres de Fausto et LiettaLuigi Pirandello a eu trois enfants : Stefano, Fausto et Lietta. que je vous ai communiquées, je reçois aujourd’hui une lettre de [Enzio ?] Scipioni contenant un article de Corrado AlvaroCorrado Alvaro (1895-1956), journaliste et écrivain italien. qui, avec les articles du Giornale d’Italia et du Messagero parus le 11 décembre 1936 (le lendemain de la mortLuigi Pirandello est mort le 10 décembre 1936. Deux cérémonies eurent lieu à onze ans d’écart. Juste après son décès, ses cendres furent déposées dans une urne au cimetière romain de Verano. En 1947, le maire d’Agrigente organisa des funérailles solennelles pour l’illustre habitant de sa ville. Malgré les grandes difficultés d’acheminement jusqu’à Agrigente, les cendres arrivèrent dans la ville natale du dramaturge, placées dans une urne grecque datant du Ve siècle avant Jésus-Christ. Finalement en 1962, l’urne fut placée dans une stèle dans le jardin de la maison natale, devenue musée.), donne je crois un ttableau aussi complet que possible de ces deux journées mémorables.

NardelliFederico Vittore Nardelli, L’homme secret (Gallimard, 1937). écrit à la dernière page de L’homme secret : « Pirandello laisse un testament je le sais, je n’en connais pas les termes mais j’en connais le sens. Il dit que quand il sera mort, il veut être incinéré et que s’il lui est arrivé de faire quelque chose dans la vie que l’on veuille, en signe de reconnaissance, jeter ses cendres au vent ».

Nous le savions aussi d’une façon moins précise ; il nous parlait quelquefois de l’inutilité et de la vanité de toutes les cérémonies qui entourent la mort : « il ne faut pas contempler la mort, disait-il, elle est trop horrible ; dès que l’esprit a quitté le corps qu’on cache vite le corps, vite un drap pour le recouvrir et qu’on n’en parle plus. »

C’est Stefano, le fils aîné de Pirandello, qui a montré à Alvaro avant que la dépouille fût acheminée au crématoire du Verano la demi-page très brève où étaient tracées les dernières volontés de son père, d’une écriture si ferme et si jeune, sur un papier si jauni et si fané qu’elles devaient remonter, pense Alvaro, à une quinzaine d’années au moins. Il voulait s’en aller tout seul comme il l’avait toujours été, ni parents ni amis, ni discours, ni prêtres, seul sur le char des pauvres, et ses cendres jetées au vent, ou transportées à Agrigente et murées avec une pierre très ordinaire dans sa petite maison de CaosLa maison natale de Luigi Pirandello se trouve à Caos, dans la campagne entre Agrigente et Porto Empedocle..

On dut lire ce papier au bon curé accouru pour le requiem, il en fut très déconcerté ; il ne savait que penser, il se décida pour l’indulgence et s’en remit à la miséricorde divine ; être brûlé et dispersé au vent quand on est né chrétien ne peut être compris, pardonné que par Dieu. Le représentant du pouvoir temporel prit la chose avec plus d’âpreté. C’était déjà un tour peu excusable que d’être mort le jour même de la réunion du Comité académique : on y continuait le dictionnaire, mais s’en aller sans prendre congé, [sans un signe ?] ni chemise noire, ni musique, ni grands honneurs était simplement inaccepttable. Comment pouvait-il rapporter tout cela au Duce ? Il prit la demi-page des mains du curé, la lut, la relut, la recopia et ne dit pas merci. « Il s’en est allé en claquant la porte – Se n’è andato sbattendo la porta » murmura-t-il, et entre son chagrin et son désagrément il se sentit bien malheureux en reprenant la via Antonio Bosco.

Comme vous le saviez déjà, cher ami, Pirandello est mort le 10 décembre 1936 à 8 heures 30 du matin dans sa petite maison de la rue Antonio Bosco où il habitait avec son fils Stefano. Il était malade depuis trois jours, il avait pris froid en assistant aux prises de vue du film qu’on tirait de son roman Feu Mathias PascalLe roman de Luigi Pirandello, Feu Mathias Pascal, était paru en 1904. Deux films en furent tirés : l’un par Marcel L’Herbier en 1924 et l’autre (L’homme de nulle part) par Pierre Chenal en 1937.. Il semble qu’il se soit très peu défendu et qu’il ait très vite consenti à ce que la congestion pulmonaire très violente qui l’avait surpris après l’attaque d’angine de poitrine de l’année précédente, ne pût pas être guérie. Aux docteurs qui lui disaient de garder toute confiance, il répondait avec calme et gentillesse : « Mais pourquoi avez-vous peur des mots : vous voyez bien que je suis en train de mourir » « Io so benissimo che stò morendo. » Quel dommage – « Peccato » - disait-il à Stefano j’avais justement trouvé enfin mon décor pour le 3ème acte des Géants de la montagneLes Géants de la montagne est une pièce inachevée de Luigi Pirandello. (tout devait se passer sous un vaste olivier « un ulivo saracenoUn olivier sarrasin. »).

Il évitait de s’attendrir. Pourtant il dit à ses enfants : « Aimez-vous bien, aimez-vous. Cela seul importe plus que tout (« questo è cio che più importa ».

Des quelques amis qui ont vu le cercueil des pauvres quitter la maison sans oser ni l’accompagner, ni parler, ni crier, un seul à cheveux gris pleurait doucement en cachant ses larmesCette phrase est écrite, beaucoup plus nettement que précédemment, sur un papier collé par-dessus des phrases qui ont été raturées..

Il me semble cher ami que rien ne doit, ne peut être ajouté et que les fantaisies les plus charmantes, fussent-elles radiophoniques, ne pourraient qu’encombrer la Vérité toute simple et telle qu’il l’avait toujours souhaitéeIl semble que JP avait reçu le témoignage d’une certaine L.D qu’il renonce à publier. Cf. lettre de JP PLH_125_020878_1957_05..

Toute l’amitié de

Marie-Anne

Je vous avais dit je crois que les [cendres ?] étaient conservées non pas sous une vilaine pierre mais dans une urne très belle et de forme grecque au musée d’Agrigente [mots illisibles].Dix ans après sa mort, les cendres de l’écrivain furent murées dans une pierre dans la campagne proche de sa maison natale et l’urne grecque placée au musée Saint Nicolas d’Agrigente.