Paris, le 7 janvier 1957
Cher ami, je reçois votre Vie et langageIl s’agit sans doute de la revue mensuelle Vie et langage dont le premier numéro était paru en avril 1952. Cf lettre-réponse de JP, PLH_125_020878_1957_01. qui pour moi n’a que l’intérêt d’une resucée de petits livres mal informés consultés par M. MonnotRené Monnot collabore à la revue Vie et langage. Traducteur de l’italien, il a établi l’édition scientifique de La Locandiera de Carlo Goldoni (Hatier, 1928). ; mal informés et partisans. La vérité est ailleurs, là où M. Monnot n’a pas su la trouver. J’espère qu’il est meilleur grammairien qu’historien et là encore je le prends en défaut car il n’a pas su découvrir que ce nom de Ragazzacci, italien en effet et qui veut dire (mauvais garçons), conservé par des familles authentiquement grecques à l’état civil ne pouvait être qu’un surnom et c’était précisément le surnom donné au lendemain des lettres patentes accordées par Louis XVI à Démétrius (frère de la mère de la duchesse d’Abrantès) à ceux qui à Cargèse auraient eu (d’après ces lettres et leur parenté directe avec Démétrius le droit de porter le nom de Comnène). C’était à la fois un surnom de rage et de vengeance (les hommes sont vaniteux), et comme le maire de cette époque s’en trouvait frustré il l’avait d’autorité fait inscrire sur tous les extraits de naissance des Stephanopoli d’alors (Stephanopoli frère d’Etienne, devenant synonyme de Comnène).
J’ai fait sur cette question mon diplôme d’études supérieures et ai pu consulter à Gênes toutes les archives des [liasses grecorum ?] de 1676. Il n’y a pas une preuve de ce qu’avance si légèrement M. Monnot que « la descendance Comnène serait fantaisie pure » mais toutes les indications au contraire pour que les preuves apportées par Démétrius au généalogiste du roi aient été de vraies preuves.
Notez que cette méfiance est un phénomène insulaire et Napoléon lui-même l’a exprimée dans le Mémorial. Dieu sait pourtant qu’amoureux de Panoria PermonSœur de Démétrius Stephanopoli de Comnène, Laure Marie dite Panoria avait épousé Charles Martin Permon, administrateur civil en Corse. De leur union, est issue une fille, Laure (1784-1838), future duchesse d’Abrantès. et prêt à l’épouser il était ébloui alors par la possibilité d’entrer dans le sillage des Empereurs d’Orient. Tout cela est bien léger, bien vain. Il y a une noblesse autrement solide et grande à voir comment ces quatre chefs Stephanopoulos sortant des persécutions des Turcs ont approuvé les mauvais traitements des Corses ; et c’étaient des princes à n’en pas douter si nous donnons à ce mot la signification [mots illisibles]. L’idée qu’ils seraient allés se chercher une noblesse supplémentaire et qu’ils auraient inventé [d’être ?] Comnène ?! Pourquoi comment, plutôt que PaléologueAutre famille noble d’origine grecque dont est issue la dernière dynastie ayant gouverné l’Empire byzantin. par ex[emple].
Mais M. Monnot commet d’autres fautes et un oubli que je puis cette fois contrôler moi-même avec tous mes contemporains de Cargèse. C’est qu’après M. [Phardis ?] (1887), il n’y a pas eu d’enseignement de grec à Cargèse ; or le professeur de grec qui a succédé à M. [Phardis ?] en 1887 était mon père qui a enseigné le grec de 1887 à 1921, c’est-à-dire jusqu’à sa mort et qui était arrivé à quelque chose de beaucoup plus remarquable que [Phardis ?] puisqu’il avait obtenu du gouvernement français, oui de l’éducation nationale, des appointements réguliers donc une reconnaissance d’utilité publique de cet enseignement.
Mais comme M. Monnot a copié le livre d’un commis-voyageur qui n’était pas du parti de mon père (lui républicain) il l’a passé sous silence. Et voilà comment on écrit l’histoire [Et ce n’est pas seulement beau ?] J’espère que ce M. Monnot n’est pas de vos amis. Si oui, dites-lui de mieux s’informer à l’avenir.
Mais à bientôt n’est-ce pas.
Votre Marianne