CERCLE LITTÉRAIRE
INTERNATIONAL
SECTION FRANÇAISE
de la Fédération
P. E. N.
Adresser la correspondance au Secrétaire Général : BENJAMIN CRÉMIEUX, 40, Rue Denfert-Rochereau, Paris (5e)
naturellement, j’étais en colère quand je t’ai écrit. Colère provoquée par ta lettre. Jusque là je n’étais pas irrité contre toi. Je pensais que tu avais rencontré des difficultés, que tu espérais peut-être encore les vaincre, que tu préférais te taire, un peu par timidité, un peu pour ne pas avoir à parler d’une chose ennuyeuse. Je n’aurais pas admis ce silence d’un autre, mais, toi, je te faisais crédit. La seule chose qui m’avait un peu éberlué, c’était dans la note d’Arland sur Geneviève SavignéGeneviève Savigné, par Denise Fontaine », La Nouvelle Revue Française, février 1931, p. 280.dont on a beaucoup parlé, Rose Colonna » en « un livre de débat, Rose Colonna. »
Là-dessus arrive ta lettre qui se résumait en ceci : « Tu es bien intransigeant pour les autres et tu [mot illisible barré] m’as obligé à commettre une injustice en faveur de Marie-Anne. » Une injustice ? Quelle injustice, puisque tu n’as pas publié de note ? Et en quoi aurait pu consister cette injustice sinon à exiger pour Rosa Colonna des éloges non mérités ?
Ainsi tu n’avais pas publié de note ni sur R.C ni sur V.M. et tu m’accusais de t’avoir fait commettre une injustice ? Tu m’accusais de favoriser l’injustice et tu te posais en champion de la l’opportunisme constant qui s’impose à toi comme à tout directeur de revue. (Et il est bien entendu que tu sacrifies le moins que tu peux, et s’il en était autrement je ne collaborerais pas à la N.R.F. pour 45 francs 50 par mois
Mais enfin cet opportunisme existe. Tu l’avoues dans ta réponse (écrite aussi avec une grande colère, et s’il y avait quelques coups directs dans la mienne, ce que tu appelles des grossièretés, il y a quelques coups fourrés dans la tienne, que je ne chercherai pas à définir, puisqu’ils étaient donnés dans l’emportement de la querelle). Cet opportunisme joue parfois injustement ; je demande pourquoi il n’aurait pas joué selon la justice pour R.C. et V.M.
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Voilà ce que je m’apprêtais à te dire pour mettre au point les choses, quand ta seconde lettre m’est arrivée, me proposant une « clef du malentendu » et, par bien des côtés, assez proche de ce que je viens d’écrire. Tu as compris, et c’est là l’essentiel, que ta lettre avait tout déclenché et m’a amené à examiner ce que tu avais fait d’une façon moins systématiquement confiante que je ne l’avais examinée jusque là.
Pourtant, il reste un point sur lequel je ne puis te donner raison. Tu me reproches ma politique, mon âpreté. (Même si tu avais raison, pourquoi punir Marie-Anne d’une faute qui ne serait que mienne en la privant d’une de notes dans la revue ?)
Mais, au vrai, qu’ai-je donc fait ? Pour la première fois, depuis 1918, j’ai traité quelqu’un en ami. Et ce quelqu’un, c’est toi. Je ne crois guère à l’amitié. Je n’espère, ne veux rien des autres. Je ne demande rien à personne. Je n’aime pas qu’on me donne. Je n’aime plus que donner.
L'amitié virile, pour moi, c’est un devoir et un privilège.
Le privilège, c’est de pouvoir être sincère, sans crainte d’être ridiculisé, ni trahi.
Je sais que pareille conception de l’amitié est difficile à mettre en pratique. C'est pourquoi je n’essaie pas. Tu es le seul avec qui j’ai essayé, après dix ans, de bon compagnonnage et de gentillesses de ta part. J'ai eu le sentiment que j’ai échoué et j’en ai eu autant de chagrin que de colère.
Ce que tu appelles mon âpreté, ma politique n’a été que la confiance et la simplicité de l’amitié. Je t’ai dit en toute simplicité que j’aimerais une note immédiate sur R.C. qui attirât l’attention des autres critiques sur ce livre et le mît tout de suite en circulation. C'est Marie-Anne qui, ayant lu la note de Malraux sur VialatteBattling le Ténébreux, par Alexandre Vialatte », La Nouvelle Revue Française, décembre 1928, pp. 869-870.R.C. Il n’a pas cru devoir la faire. J'ai refusé avec violence la note de Marcel [Arland], parce que tu semblais la trouver tout à fait suffisante. Tu me dis : « ah ! si tu avais pu te voir !.. » Je te réponds la même chose. Tu paraissais trembler qu’on ne dît trop de bien du livre.
Tu m’as demandé d’écrire la note sur R.C. [deux mots barrés illisibles] J’ai refuséAnnales. Cet article, je ne le désavoue pas. Mais je ne l’aurais pas écrit si tu m’avais mieux aidé à signaler R.C. aux critiques.
À partir du refus de la note de Gabriel Marcel, je n’ai plus fait allusion à rien avec toi. Je t’ai laissé libre. Quand Violette Marinier a paru, je ne t’ai rien dit, rien demandé. Tu aurais pu passer la note de Pourrat sans me la montrer. Tu me l’as montrée. Et une fois de plus, tu as eu l’air de me dire qu’elle était bien assez bonne pour le livre. D’ailleurs, m’avouais-tu, je l’ai lue distraitement. En me l’envoyant, tu voulais donc que je lui donne mon aval. Eh bien, je le lui ai refusé, comme j’ai tant de fois refusé d’approuver les notes que tu me montrais.
Car enfin si j’ai refusé la note de [Gabriel] Marcel et celle de Pourrat, ce n’est pas parce qu’elles n’étaient pas élogieuses, c’est parce qu’elles n’étaient pas bonnes.
Et ici, j’en reviens à mon idée de l’ami. Si je te paraissais exagérément âpre et « politique », il fallait me le dire franchement. C’était ton privilège d’ami.
Mais te dérober, ne pas trouver moyen, n’importe quel moyen de faire ce que je t’avais demandé, c’était faillir à l’amitié (et c’est ce que voulait dire : « moi, à ta place, j’aurais écrit la note moi-même »)
Veux-tu d’autre part admettre que tu ne m’as tenu au courant de rien de ce qui s’est passé après le refus de la note de [Gabriel] Marcel ? Que tu ne m’as tenu au courant de rien après la décision de demander à Fernandez la note sur V. M. (Tu sais que celle de Pourrat a paru à l’Européen.)L’Européen, 9 octobre 1931. J. P. lui avait envoyé les épreuves de Violette Marinier de M.-A. Comnène. Voir sa lettre du 18 mai 1931, in Jean Paulhan Henri Pourrat, Correspondance 1920-1959, prés. C. Dolet, M. Lioure, A.-M. Lauras, Gallimard, 2019, p. 254, note 1. P. Descaves, rendra compte, dans L’Européen du 4 août 1933, p. 3, d’Été, faisant une brève allusion aux deux précédents romans de M.-A. Comnène. bien, montre-la moi, je verrai si je peux la donner. » Qu’en tout cas, cela valait des conversations directes et non pas une allusion à la fin d’une lettre de reproches. (Je trouve la note de Marc Bernard sur Poulaille assez bienLe Pain Quotidien, par Henry Poulaille », La Nouvelle Revue Française, février 1932, pp. 302-303.
Je ne Il n’a jamais été question de la note de Pourrat au Comité en ma présence et je continue à penser que Fernandez n’avait pas à savoir qu’elle existait.
Voilà, je crois, les choses à peu près mises au net. Et je crois qu’accuser ma « politique » (demande à Hirsch ce qu’il a pensé de mes divers refus d’intervention) et rejeter sur elle la non-publication d’une note sur les livres de Marie-Anne, c’est au moins de l’exagération polémique.
J’ai eu trop confiance en toi, tu n’en as plus eu assez en moi.
Que cela ne te paraisse pas trop dur, à la fin de cette lettre de mise au point. Et comprends que je puis en terminant, comme je le pouvais l’autre jour, t’assurer de mon affection. J’aime en toi ce qui tant de choses, j’ai tant de plaisir chaque fois à te retrouver, j’aime à te voir mener la revue, bref j’aime que tu sois ce que tu es, j’aime te défendre quand on t’attaque. C’est dire que je souhaite refermer cette parenthèse, mais ce n’est tout de même pas moi qui l’ai ouverte.
A toi,
[mot barré illisible]