Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre de Benjamin Crémieux à Jean Paulhan, 1926-08-19 Crémieux, Benjamin (1888-1944) 1926-08-19 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1926-08-19 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Français

19 août 1926

Mon cher Jean,

bonnes vacances.

– Si ça t’ennuie de faire passer ma note sur Duhamel, rends-la moiLettres au Patagon, par Georges Duhamel, La NRF, n° 157, octobre 1926, octobre 1926, p. 492-495.. Je l’intégrerai dans l’étude d’ensemble Duhamel sur lui qui doit figurer dans la deuxième série de XXe siècle. Mais depuis la suppression de la dernière phrase cette note nue semble très élogieuse et de nature à faire plaisir à D. Est-ce que je me trompe ?

Tu m’avais dit que son nouveau romanLa Pierre d'Horeb, 1926. n’était pas bon, mais je ne l’ai répété à personne. Tu me raconteras le détail de l’incident.

– Tu as peut-être raison pour le tracassin.

– J'aurais dû te remercier depuis longtemps des feuillets que tu m’as communiqués (et que je te rendrai si tu en as besoinLes Fleurs de Tarbes, en cours de rédaction?). Je crois que tu t’es attaqué à une des matières les plus difficiles que soient. Et Faire le le portrait du langage en langage, c’est à peu près vouloir faire en chair la statue d’un être en chair charnel avec un instrument en chair. Mais c’est passionnant. Le plus passionnant, c’est la façon dont la réalité brute se glisse sous le symbole. Mon père avait dans son personnel deux ouvrières qui s’appelaient toutes deux Marie et toute mon enfance, j’ai entendu app nommer l’une Marie Delarbre et l’autre Marie Alaux. Mais ce que j’entendais, c’était Marie « de l’arbre » et Marie « à l’eau ». Comme il n’y avait pas d’arbre devant la maison de la première, ni d’eau devant celle de la seconde, je pensais qu’elles avaient déménagé. Quand il y eut une troisième Marie, Marie Campagne, je sus tout de suite que Marie Campagne était un nom propre, mais l’idée ne me vient pas qu’il pût en être de même pour Delarbre et Alaux. C'est l’an passé (1925) en feuilletant un Premier de la ClasseLe Premier de la classe, roman de B. Crémieux, 1921. que j’allais donner à quelqu’un que l’idée me vint que je, en repensant à Narbonne, que de l’arbre était Delarbre, à l’eau Alaux. Mais aujourd’hui encore je n’en suis pas convaincu.

– Je viens de lire BernanosSous le soleil de Satan, 1926.. J'ai d’abord été pris par son tempérament d’écrivain, mais je me demande à présent s’il n’a pas simplement beaucoup lu Bloy, Veuillot, Barbey, Villiers. Mais ma plus forte impression est la stupeur devant les possibilités de la bêtise humaine. On reviendrait au moyen-âge comme rien. D'ailleurs la lecture du deuxième numéro des Chroniques du Roseau d’OrRevue Chroniques / Le Roseau d'Or (1925-1931), Plon, d'inspiration catholique. a par moments quelque chose de terrifiant, l’article sur Jeanne d’Arc notammentH. Clérissac, O. P., « Jeanne d'Arc, messagère de la politique divine », Chronique, n° 2, 1926, p. 5". De puéril aussi : la publication dans une revue catholique de Daisy en France justifiée « parce que Jésus a dit : Laissez venir à moi les petits enfantsCette nouvelle de Daisy Ashford (1881-1972), très jeune auteure anglaise, est publiée dans Chroniques, n°2 (1926), trad. par M. Sachs et préfacée par J. Cocteau, sous le titre Les jeunes visiteurs.. »

J'ai relu les Faux-Monnayeurs1926 aussitôt après une lecture de Possédés dans la traduction Chuzeville. Les F.M. sont un écho, personnage par personnage, thème par thème, des Possédés (le suicide à terme, le bâtard, etc...) Mais c’est tout de même un sacré livre que celui de Gide. Une somme de tous les problèmes d’aujourd’hui : il a romancé ce que je voulais exposer presque didactiquement dans ce livre dont je t’ai parlé.

J'ai écrit un acte et demi d’une nouvelle pièce où je. Je suis accroché à la grande scène du deux sans pouvoir m’en sortir. Je voudrais achever d’apprendre le métier pour m’en affranchir après.

– Ma femme va bien maintenant. Francis aussiLe fils de Marie-Anne Comnène et de Benjamin Crémieux (1920-2004). Moi, je ne me sens pas délivré de ma pesanteur au foie.

Bien affectueusement à tous deux de nous deux

B.C.

Je serai à Paris le 1er sept. Je te donnerai une chronique dramatique pour octobre.

Ste Anne la Palue

par Plonévez-Porzay