Où diable ai-je écrit sur la « métaphysique » et « fascistes-antifascistes » ? « Métaphysique », je ne le dis jamais que pour dire que je n’emploie pas ce mot, et il est vrai que je vous disais à peu près cela dans ma lettre (à propos de votre 2me point de vue, entre « mystique » et « sens commun », si je me souviens). Mais je ne me rappelle pas vous avoir parlé de « fascistes-antifascistes » – ni dans mes notes. Suis-je amnésiaque [amnésique] ? Mais comme il a pu m’arriver, et m’arrive dans la conversation, d’employer ces mots, je m’expliquerai quand même.
J’entends « fasciste » au sens très élargi où on l’entend couramment : est fasciste tout ce qui tend à – ou implique – l’assujettissement par la force physique, sans limitations, de l’individu à la prospérité et au prestige [rature] d’une collectivité nationale dont la cohésion est trop récente et ou trop fragile [rature] pour subsister par sa seule existence (comme celle des Italiens ou celle des Allemands, qui datent de moins d’un siècle), cet assujettissement et cette apothéose de la nation étant pris comme des fins en soi – Ou encore, du point de vue de l’individu : l’impuissance et le refus de prendre ses responsabilités, le désir de s’en décharger sur un ou plusieurs individus qui agissent et sentent pour eux, se servent d’eux et deviennent de ce fait leurs proprié possesseurs (plutôt que leurs chefs) : d’où la parenté de l’esprit militaire et de l’esprit (si l’on peut dire) fasciste.
Quant à l’opposition « fasciste-antifasciste », je ne me souviens pas l’avoir employée, même dans un bavardage négligent. « Antifasciste » est un concept négatif qui n’a pas de valeur en soi (sa valeur est en-dehors de lui-même, comme il en est de tout concept négatif) – Si (en simplifiant beaucoup), je résume la compréhension du concept « fascisme » dans les 2 termes {(a) « assujettisst [assujettissement] de l’individu à la nation » (b) « qui est une fin en soi »
les contraires de ce concept seront {1) (non-a)x(b) = démocratie 2) (non-b)x(a) = bolchevisme
et le contradictoire (ou l’opposé) [de ce concept] serait : (non-a)x(non-b) = [communisme parfait?]
(je ne parle pas des contraires selon l’extension qui seraient : telle collectivité opp hostile au mussolinisme ou telle collectivité hostile à l’hitlérisme – ni du contradictoire-extension : bloc anti-fasciste dont la valeur positive serait, ici, historique, si elle était [mais toujours extérieure à l’ext au concept])
(extrait d’un Traité de Patapolitologie en préparation)
La question a encore un aspect émotionnel et un aspect instinctivo-atavique dont je ne parle pas ici.
La question a enfin, outre ses divers aspects, une essence qui peut se trahir par la différence de comportement global entre l’homme qui fait le salut fasciste et celui qui lève le poing : celui qui se soumet et celui qui s’engage – celui qui [rature] se laisse prendre et celui qui s’affirme.
Rectification : « anti-fasciste » n’est pas purement négatif (comme serait « non-fasciste »). Voulez-vous me demander si je nie la possibilité d’une attitude d’indifférence ? Il y a deux sortes d’indifférence : celle qui tient au manque de représentation et celle qui tient à la parfaite représentation des dangers tels qu’ils sont. Je suis entre les deux.
En outre, je n’ai nullement l’envie d’être du côté des vaincus. Ce n’est pas un souci juste. Je ne veux pas vous laisser dire cela. Je hais le défaitisme. J’ai été, jadis, défaitiste en ce sens : tout désir qui semblait devoir se réaliser m’était du même coup odieux ou indifférent. Je ne favorisais que l’impossible. C’était vraiment puéril. Maintenant (ici je pense très peu à la politique) je tâche d’être d’abord avec ce qui est juste, et alors d’être victorieux. Si jamais vous me voyez prendre parti pour des vaincus, c’est que je les regarderai comme des futurs vainqueurs, non en tant que vaincus. [rature]
Vae a priori victis !
(Je ne sais pas ce que vaut la traduction du Frobenius, ne sachant pas l’allemand – mais elle a très l’air « traduit de l’allemand », et le style [?] est bien pénible.)
Il est hélas trop tard pour l’Air du Mois de septembre.
Si j’avais su que vous étiez à Châtenay tout ce temps, je serais allé vous voir. J’espère que vous allez pouvoir partir bientôt. Je n’aime pas vous savoir si près sans vous voir.
J’ai passé 4 jours avec Vera et Mme de S. [Salzmann], ses enfants, sa mère et notre amie Mme Langerhans au bord de la Manche. Elles restent là (à 6 ou 7 personnes, c’est très économique, agréable, reposant, instructif, et tout) jusque vers le milieu de septembre. J’aimerais les y rejoindre encore, mais je suis trop bombardé par des créanciers et occupé à chercher du travail (Il est enfin, enfin, décidé qu’à partir du 1r septembre je serai employé régulièrement à l’Encycl. Frse [l’Encyclopédie Française] pour 1200F [francs] par mois. Il faudrait que je trouve encore autant pour m’en tirer, car pour me libérer de mes dettes, je dois payer environ 800F [francs] par mois pendant 2 ans : ceci pour vous montrer que mes ambitions de gain ne sont pas de la rapacité.)
(S’agit-il d’une brouille entre M. [Marceau] Pivert et les S.F.I.O. [Section française de l’Internationale Ouvrière] en général ? je ne crois pas. Je ne vois pas par où atteindre cet homme. Je me suis adressé aussi à un député communiste, mais c’était mal tomber. Il me semble pourtant que nous aurions profit, la T.S.F. et moi, à nous rencontrer.)
Mme de Salzmann cherche une villa à louer dans la banlieue proche – que nous louerions en commun, pour plus de commodité – et à proximité d’un lycée ou collège pour son fils (qui entrerait en 5me ). Savez-vous si le lycée Michelet à Vanves est bon (vous voyez ce que je veux dire : pas trop mauvais) – ou s’il y a un collège à Saint-Cloud ? – et si l’on peut trouver assez facilement une villa de 9 pièces avec un bout de jardin dans la région S-O. [Sud-Ouest?] ?
Les textes de Tchouang-Tseu dans Hermès sont bien beaux. La Doctrine du Corps Illusoire, et tout ce genre [rature] de publications, me fait songer à une collection de papillons faite par un aveugle : il nous parle de ses beaux papillons et il n’en perçoit qu’une sensation de contact mou et poussiéreux, et l’odeur de l’acide phénique… voyez les résultats. l’Avertissement des éditeurs est une merveille du genre gendarme mystique. Avez-vous l’adresse de Pierre Leyris ? je voudrais lui demander le sens exact du mot qu’il traduit « connaître, connaissance ».
À bientôt davantage. Tous mes vœux pour votre prochain départ et pour vos vacances à Port-Cros.
À vous deux affectueusement.
(voulez-vous que je vous envoie les coupures de presse relatives aux Fleurs de Tarbes ? j’en ai à la maison)