Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre de René Daumal à Jean Paulhan, 1935-03-26 Daumal, René (1908-1944) 1935-03-26 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1935-03-26 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Français
le 26 mars [1935] Cher ami,

Maintenant une lettre ennuyeuse. Le mois d’Avril approche où nous devons aller à Paris (Vera pour affaires, moi aussi et pour rencontrer une dernière fois – si j’ose espérer – la Médecine Militaire ; et la joie de vous revoir, et 2 ou 3 personnes, nous sera donnée par surcroît). Mais je dois songer aux moyens de faire ce voyage, et comme le mois d’Avril est aussi celui de Mesures n° [numéro] II, je compte sur elles pour arranger ça. Aussi je vous demande de me dire si je puis compter sur le reste de la vente des Basiles pour les tout premiers jours d’Avril, le 2 ou le 3, (ou avant, bien entendu). Ainsi nous pourrons faire le voyage et payer une petite partie de nos dettes (sans quoi il faudrait encore laisser des bagages, garder les chambres et ça n’en finirait plus) Donc voulez-vous y veiller ? car c’est juste ce dont j’ai besoin pour éclaircir un peu notre position matérielle qui comme toujours frise l’abîme. Merci.

L’hiver a passé en coup de vent. J’enseigne le non-maniement des imparfaits du subjonctif à un homme d’affaires. J’essaie d’écrire des histoires, genre Basiles, à défaut de plus simples que je ne suis pas encore capable de faire. J. [Jean] Cassou a touché mon cœur par ses 2 pages sur Racine. Je pense aux éditions x (Cardan?). On en parlera. Si l’on faisait un partie de boules ? Il paraît que Michaux est en Sardaigne. En ce qui concerne la littérature – ou l’orature – orientale, et spécialement de l’Inde, il y aurait bien des choses à publier. P.ex. [Par exemple], j’ai traduit ces jours-ci les parties principales du traité de Poésie qui fait autorité dans le Vêdânta ; je les publierai dans Présence du mois de mai : c’est une grande chose ; je n’ai pris que les questions de principes (définition de la Poésie, sa place, son but, ses variétés, ses vertus, ses saveurs, etc.) alors que les orientalistes se complaisent d’ordinaire dans le détail technique non utilisable pour nous ; en prenant dans les principaux livres d’esthétique hindoue les chapitres fondamentaux (Poésie-Danse-Drame-Musique-Peinture-Sculpture-Architecture), on aurait un livre d’un intérêt universel et vraiment utile à notre culture. Tout cela est si mal connu, et ces quelques pages que j’ai traduites auraient épargné tant d’égarements à Jean Cassou ! Je pense toujours à une série de recueils portant sur diverses matières, chacun contenant les témoignages les plus haut donnés par différentes civilisations sur ces sujets. Par exemple la Poésie. Ou, comme je vous ai déjà dit, la Genèse(x) (« d’ailleurs, c’est la même chose » me dit un de mes bons amis). Ou la Politique. Le Droit. La Morale – et ainsi de suite.

(x) puis le Déluge, etc.

Quant aux auteurs à publier, c’est question d’espèces. Bien entendu, il faudrait que ce fût toujours une œuvre entière, en forme, tout armée (éviter les essais, les ébauches ; et encore plus les productions de second ordre d’écrivains « arrivés ») ; que chaque livre soit une brique – (Mais tout le monde en dirait autant – Je préciserai). Je verrais, en général, un format uniforme, un peu plus grand(x) que l’habituel, genre « sérieux et soigné » mais non luxueux ; que ça sente l’utilité. On pourrait songer, quant aux auteurs, à un discret noyautage, de 4 ou 5 types genre Renéville, Michaux, liés par une espèce de complicité ; penser un peu d’avance à grouper dans un certain ordre les livres que l’on publierait : qu’ils se complètent, se heurtent, se frottent, s’éclairent mutuellement ; comme une conversation rendue publique artificieusement (la complicité ne se trahirait que par la présentation technique des volumes, même typographie, etc. – certaines proportions dans les formats suffisent déjà à indiquer un sens ; même déjà le signe nrf a aujourd’hui quelque chose comme une valeur idéographique.) Mais tout cela aussi je préciserai.

Dites-moi si vous voyez une possibilité de publier, ici ou là, l’Origine du Théâtre de Bharata. J’ai maintenant tiré au clair presque tous les passages suspects, et il ne faudrait y ajouter qu’une ou deux pages de notes, (ou moins, même).

Je vous enverrai pour le n° [numéro] de mai un ou deux Airs du Mois. Pour mars, c’était trop court. – et aussi les notes sur Cassou et Huguet.

Saluez tout le monde, sauf [rature] (non, même lui ; c’est le printemps), de ma part.

Nous vous serrons la main à tous deux

René Daumal

(qui est-ce qui traduit pour Mesures les poèmes que j’ai vu annoncés de Bhartrhari ? je me demande ce que peut devenir cette poésie, sans ses tambourinages d’allitérations (madhuramadhuvidhuramadhupe madhau…) ses paronomases, ses intrications de double-sens, et son subtil filet de fiel. Sans doute de l’eau de rose.)

[horizontalement, à gauche] (x) ou : un rien plus petit.